L’Oiseau noir dans le Soleil Levant

L’Oiseau noir dans le Soleil levant
(1926)

Ce recueil publié en 1927 contient un ensemble de textes très différents, composés à l’occasion du second séjour de Paul Claudel en Extrême-Orient, c’est-à-dire à la mission de son ambassade au Japon (novembre 1921 – février 1927). L’auteur a indiqué dans un entretien (Nouvelles littéraires, 7 mai 1927) que ce recueil pouvait être considéré comme faisant « diptyque avec Connaissance de l’Est« , rédigé en Chine entre 1895 et 1905. Connaissance de l’Est contient en effet une série de poèmes inspirés par un premier voyage au Japon (mai – juin 1898) : notamment Le Pin (Tokyo, mai-juin 1898), L’Arche d’Or dans la forêt (Nikko, juin 1898) ou encore le texte fondamental intitulé Le Promeneur (Nikko, juin 1898). Certaines intuitions essentielles, qui datent de la période chinoise, trouveront à l’occasion du second séjour diplomatique en Asie leur plein développement. Comme en retour, L’Oiseau noir dans le Soleil levant contient plusieurs pièces chinoises, ou faisant directement allusion à la culture chinoise – parmi elle, Bougakou ou Hang Tchéou, composé à l’occasion d’une escale en Chine en février 1926. Toutefois, si l’on devine facilement d’un recueil à l’autre de nombreux échos, des rappels – ou des réponses – , des souvenirs aussi, L’Oiseau noir dans le Soleil levant se présente bien différemment du recueil de Chine, dans sa forme – ou plutôt ses formes – comme dans ses intentions.
L’Oiseau noir dans le Soleil levant apparaît en effet comme une sorte de « mélange », colligeant des textes bien différents les uns des autres, même s’ils touchent naturellement tous au Japon et la culture japonaise, et parfois plus largement extrême-orientale. L’unité de la « prose descriptive » de Connaissance de l’Est disparaît au profit d’une riche variété d’écritures : prose, prose poétique, écriture dramatique, dialogues… La plupart des textes ont d’abord été publiés en revue, le plus souvent dans la N.R.F. ou Les Nouvelles littéraires. On pourra lire certains textes liés aux circonstances, comme l’évocation de l’ambassade de France dans La Maison du Pont-des-Faisans, la conférence prononcée par le diplomate en 1923 devant les étudiants de Nikko, Un Regard sur l’âme japonaise, ou le texte rédigé en réaction au violent tremblement de terre du 1er septembre 1923, A Travers les Villes en flammes, d’abord publié dans Lectures pour tous sous le titre Le Désastre japonais (1924). Un An après revient sur cet événement tragique. D’autres textes sont apparemment d’inspiration plus légère, comme la série des Poèmes japonais, publiés sous ce titre en novembre 1927 dans la Revue des vivants : La Neige, Deux bambous verts, Pont et La Canne (rédigés en juillet 1926), auxquels il faudrait peut-être ajouter L’Abdication au milieu des pins, qui concerne cependant plutôt l’histoire du Japon, tout comme Meiji (1926 ?). Certains textes poétiques et essais, comme Le Vieillard sur le mont Omi et La Poésie japonaise, apparaissent dans la première édition, et disparaissent ensuite. L’observation et la méditation de la culture japonaise se développent dans Bougakou, Bounrakou, Nô (et ses « Appendices » : Le Rythme du Nô ; L’étoffe prosodique du Nô) et Kabouki, qui concernent spécialement les arts dramatiques. Les deux versions de La Femme et son ombre (datée de septembre 1922), très inspirées du Nô, sont présentées dans le recueil d’origine. La Femme et son ombre fut représentée pour la première fois au Théâtre impérial de Tokyo le 16 mars 1923. Il faut enfin signaler ici les trois dialogues de 1926 : Le Poète et le Shamisen, Le Poète et le Vase d’encens, et Jules ou l’Homme-aux-deux-cravates.

Yvan DANIEL
ydaniel@univ-lr.fr

DEUX BAMBOUS VERTS
 
Sur une longue bande de papier Seiki a peint deux bambous parallèles de diamètres différents, pas de feuilles, rien que les deux tuyaux d'un vert égal en commençant par les racines. Deux cannes, on dirait : est-ce un sujet pour un peintre ? Mais que les deux tuyaux n'aient pas la même grosseur, est-ce que l'œil ne s'en aperçoit pas aussitôt et ce qui nourrit en nous le sens de la proportion ? Aussi, ne vois-tu pas que les ointures très rapprochées près de la racine s'écartent ensuite à des distances calculées qui ne sont pas sur les deux tiges les mêmes ? Et de cette double comparaison ne jaillit-il pas pour l'esprit à la fois une harmonie et une mélodie comme des nœuds d'une double flûte ? L'œil ne se lasse pas de vérifier que la proportion est ce nombre qui n'est capable d'être représenté par aucun chiffre.
 
(Juillet 1926)
 
Contacts et circonstances, L'Oiseau noir dans le Soleil Levant, Œuvres en Prose, Gallimard, La Pléiade, p. 1188.

Bibliographie