Paul Claudel – D.R.
Les rapports entre Claudel et la presse ont été complexes et contrastés, mais jamais antagonistes. Il n’a condamné que la mauvaise presse qui sème la malédiction sur le monde tel le rouleau de parchemin que le prophète Zacharie voit voler dans les airs . Il s’est souvent plaint, des silences bien plus que des attaques. Mais, dès son entrée en littérature, il a bénéficié d’articles enthousiastes qui l’ont auréolé de gloire dans les milieux intellectuels. Par ailleurs, parmi les plus hostiles, certains lui reconnaissent de la valeur. Ils finiront, à contrecœur, par lui accorder du génie.
Les attaques sont souvent liées au fait religieux. En décembre 1913, il relève dans son Journal « d’atroces calomnies […] à propos de l’internement de Camille ». Elles dénoncent « un crime clérical ». Mais il conclut : « C’est bien ». Le Corriere d’Italia l’accuse en 1916 du manque de respect à l’égard des textes sacrés et d’ostentation. En 1932, il relève encore : « Un journal italien m’appelle ‘le Gorille Catholique’ et dit q[ue] la Duse a été horrifiée par le caractère ‘fiero e crudele’ de ma religion ». Mais dans l’entre-deux-guerres, l’hostilité vient surtout de « l’école de l’Intelligence », un groupe d’intellectuels proches de Maurras et plus ou moins affiliés à l’Action française. Antoine Rédier lance contre lui dans la Revue française une attaque personnelle perfide, Lasserre le prend à partie dans la Minerve littéraire, le « pion André Beaunier » dans l’Écho de Paris, Dubech, Bidou ne le ménagent pas. Souday dans Le Temps prend à partie son verset, sa « prose soufflée », son habitude « de manier l’anathème contre l’alexandrin », son admiration pour un Bossuet gallican. Mais, s’il lui reproche la laideur de sa matière, « un son qui n’est pas français », s’il lui en veut de « n’être pas français », d’avoir un juif, Darius Milhaud, parmi ses amis, s’il est « un barbare », il lui reconnaît cependant une riche imagination et une espèce de génie. Marcel Anaîs le taxe de mauvais goût, de maladresse et de sottise. Alain Sanger, dans La République lui reproche une haine cléricale à l’égard de l’Allemagne et de ne pas savoir écrire. Claudel dénoncera à plusieurs reprises la dimension antichrétienne, nietzschéenne de ces attaques. Mais les motivations politiques ne sont pas absentes, et elles s’affichent tout particulièrement à l’occasion du « glorieux échec » à l’Académie française. En avril 1935, la presse dans la mouvance d’Action française, Candide, Je suis partout, est seule à s’en féliciter, mais le fait avec ostentation. Elle dénonce un Claudel « dans le sillage du bateau Briand-Berthelot, nuance chère aux arrivistes contemporains, celle du clérical-franc-maçon ». Pour Maurras, dans l’Action française, cette « élection est la défaite à la fois de Claudel, du nonce, du Romantisme, du Populaire, des Nouvelles Littéraires, de l’Aube, des Jésuites pro-allemands et de Victor Hugo ! » Tel est le regard de cette mouvance sur lui.
L’après-guerre révèle l’hostilité, cette fois, des milieux « progressistes » qui reconnaissent malgré eux son génie. Selon son Journal, à la première de Partage de midi, de jeunes reporters de journaux de gauche se promettent de chahuter la pièce : « Petit à petit [ils sont] empoignés et réduits au silence, et, le rideau baissé, [ils s’entretiennent] de leur embarras pour mettre leurs obligations politiques d’accord avec leur admiration ». Lorsque le 5 mars 1955, l’Express interroge Merleau-Ponty sur la question : Claudel est-il un génie ? il donne avec regret une réponse positive pour ajouter aussitôt, mais… mauvais diplomate, sectaire et intégriste. Par contre, un homme de théâtre, Vilar, répond par un commentaire très élogieux dans les numéros des 5 et 12 mars.
Cependant, l’énumération des griefs de Claudel à l’égard de la presse fausse la réalité. Aux détracteurs répondent les admirateurs. Et lorsqu’il se plaint de ses silences et de son indifférence, il oublie la masse énorme des articles publiés sur lui, souvent chaleureux. Il est peu d’écrivains à qui ait été offert de son vivant un tel soleil de gloire. Francis de Miomandre, de 1905 à 1913 ne publie pas moins de six articles ou études importants. On peut citer ceux de Georges Batault, de Gabriel Marcel, Stanislas Fumet, Jacques Madaule et, plus que tout autre, Mauriac l’ami fidèle qui fait dans Lycéennes, Le Figaro et Le Figaro littéraire, de 1936 à 1955 de véritables déclarations d’affection : « Quand je dis que j’aime Claudel », « Notre Claudel », « Le sens d’un mot », « L’un des élus », « Claudel », « Théâtre et religion ». Dans son « Bloc-notes », il publie en 1955 « En écoutant Partage de Midi. La pièce des connaisseurs de Dieu » et en 1963 il y dénonce le rôle de Pierre Benoît dans l’échec devant Farrère à l’Académie.
Les représentations des pièces ne sont qu’exceptionnellement contestées. Selon le Journal , il reçoit à Shanghai en 1921 d’énormes « tas d’injures et de sottises ». Il s’agit sans doute des 14 articles répertoriés de juin visant la représentation au Théâtre des Champs-Élysées de L’Homme et son désir et dont certains seulement sont franchement hostiles, ceux de Dubech dans l’Action française, de Louis Marcelleau qui parle de « bonne blague ». Henri Bidou dans L’Opinion est dur. Un autre ironise en parlant de « fête charitable ».
Mais en septembre de la même année, son embarquement à Marseille est l’occasion de 6 articles dans la presse locale, témoins de sa notoriété. En 1930, une première mouvementée du Christophe Colomb à l’Opéra de Berlin lui vaut une presse abondante, 6 articles français, 7 américains, 17 allemands où reviennent les termes de Skandal, et surtout Stürmisch, mais aussi Durchgefallen. Le Soulier de satin, L’Otage, Jeanne au bûcher suscitent l’intérêt d’une critique rarement malveillante et jamais indifférente malgré qu’il en ait. La presse belge réagit aux représentations bruxelloises.
En 1935, à l’exception de la mouvance d’Action française, tous le défendent. Le Figaro dénonce le « carnaval de l’Académie », et avec Maurice Noël, « Les élections de la mi-carême ». Wladimir d’Ormesson lui consacre deux articles dans Le Temps. Les Nouvelles Littéraires titrent, avec Maurice Martin du Gard, « L’Académie contre Claudel ». Marianne, avec Emmanuel Berl dit l’Académie indigne de Claudel, et à l’étranger, Le Journal d’Orient d’Istanbul présente les Turcs déroutés par cette élection.
Très tôt, Claudel a fait des pré-parutions de ses œuvres en revue, mais il n’eut de collaboration vraiment durable qu’avec la N.R.F. de Gide, Rivière et Paulhan. Avec ce dernier surtout, les rapports ont été difficiles. Il ne supporte pas certains articles indécents ou irréligieux. La presse ne doit pas pervertir les esprits. En décembre 1928, à la suite d’articles « dégoûtants » de Léautaud et Montherlant, il signifie une rupture moins définitive qu’il ne l’annonce puisqu’en mai 1937, il menace encore, et ne rompt le contrat de publication en 1939 que pour reprendre sa collaboration trois ans après. En avril 1946, il se réconcilie avec Le Figaro, ce qui suppose une brouille. Peut-être l’accueil mitigé de la presse l’incite-t-il en juin 1921 à écrire dans Le Gaulois un article sur L’Homme et son désir. La même année, il donne un entretien à Excelsior, fait des déclarations à des journaux allemands, écrit spécialement au Canada pour La Patrie. En 1928, il donne à la presse 8 articles. Cela continue les années suivantes.À partir de 1934, Le Figaro et Le Figaro Littéraire sont privilégiés, et, le rythme, avec le loisir de la retraite s’accélérant, ils bénéficient en 1937 de 6 articles sur 14, et en 1938, de 18, soit une quasi exclusivité. Désormais, ils deviendront son lieu d’expression, sur quelque question que ce soit, jusqu’à sa mort.
Claudel a subi l’hostilité, surtout dans l’entre-deux-guerres d’écoles de pensée antichrétiennes. Ses soutiens, par contre, pouvaient être d’opinions politiques, sociales et de sensibilité religieuse éloignées des siennes, tels Jacques Madaule et François Mauriac. Ils l’ont aimé pour lui-même et pour son œuvre. Ils ont écrit dans des publications d’orientations très différentes. Lui-même a vu dans la presse surtout un moyen de faire du bien. Il y a défendu sa foi toujours plus contestée à mesure de l’approfondissement de la crise européenne. Il l’a fait dans des revues qui ne partageaient ni ses idées ni sa sensibilité. Il a aussi souffert des silences qui ont accueilli ses commentaires bibliques qu’il jugeait importants dans le trouble de la réflexion exégétique.
Jacques Houriez
Bibliographie :
Lettres de Paul Claudel à Jean Paulhan (1925-1954), par Catherine Mayaux, éd. Peter Lang SA, Berne, 2004.
Jacques Houriez, « Gabriel Marcel, François Mauriac et la réception du théâtre claudélien », Claudel Studies, vol. XXIV, 1997.