Premiers essais dramatiques

Les deux premiers essais dramatiques :
L’Endormie et Fragment d’un drame

Dans L’Endormie, écrite vers 1887, Claudel se met en scène sous les traits d’un jeune poète avide et vaniteux qui fait irruption dans le monde des faunes et se fait berner par deux espiègles aux pieds fourchus. C’est une farce d’apprentissage où l’auteur se moque de ses prétentions poétiques. Le héros y découvre à ses dépens que le monde et l’amour ne sont que tromperies qui dévoilent la misère de l’homme.
Abandonnant la farce, Claudel reprendra cette leçon dans Fragment d’un drame, finale d’Une Mort prématurée, pièce rédigée en 1888 mais qui fut détruite plus tard. Dans ce fragment paru en revue en 1892, deux amants se séparent tragiquement au seuil de la mort en constatant à nouveau cette déception: « Car pourquoi cette / Vie est-elle donnée à l’homme par-dessus ? / Afin qu’il serve de risée et d’enseigne parmi les autres, / Plus misérable que le squelette à demi déterré (…) ? »

Sever Martinot-Lagarde

Extrait : L'ENDORMIE

(…)
LE POËTE, se précipitant violemment hors de la grotte. – Ho ! Ô Faunes, ô Faunes ! Ho ! Ho ! Ho ! J'aurais dû pourtant savoir qu'il ne doit y avoir aucune confiance avec vous ! Ô ricaneuse, et toi vieux loup, vieille chèvre aux oreilles pointues, soyez pendus !
VOLPILLA. - Ha, ha !
LE POËTE. – Ne ris pas de moi ou je te… Oh ! dire qu'il n'y a rien de vrai dans tout cela ! Une nymphe des eaux, je crois bien ! Si on la jetait à la mer, elle flotterait comme une gabarre ! Quand je pense que tu étais là à m'embarbouiller les lèvres du bout de ton doigt trempé de miel, avec des histoires de cette vieille chose qui est là dedans, et moi, j'écoutais, les yeux blancs d'admiration. Une femme ! ce n'est pas une femme, c'est une bedaine, c'est un tonneau enterré dans le sable, une baleine pâmée, une quille de navire retourné par le vent ! Elle était vautrée comme les vieux chevaux facétieux à qui le dos démange en été et qui se roulent dans la poussière en gigotant languissamment. Quel monstre ! Oh ! quand je suis entré, son ventre était balayé par les rayons de la lune, je le prenais pour le sein d'une géante. Alors elle s'est réveillée et elle s'est mise à bafouiller je ne sais quoi d'une voix plus enrouée qu'un vieux canard, qu'un cornet de carnaval…

(…)

L'Endormie, Théâtre I, Gallimard, La Pléiade, p. 17

Bibliographie