Psaumes

Claudel traducteur des Psaumes

Entre 1918 et 1953, Claudel composa un vaste ensemble de « Psaumes » traduits du latin de la Vulgate, dont seuls un petit nombre furent publiés de son vivant en trois minces recueils. S’il eut jamais le désir de réaliser un psautier complet, il ne parvint pas au bout de l’entreprise : alors que certains psaumes connaissent deux ou trois versions différentes au fil des années, d’autres semblent entièrement ignorés du poète.

C’est que l’écriture obéit à une nécessité autre. Les traductions de psaumes, pour la plupart, suivent la temporalité liturgique et répondent au temps de l’Église : la présence d’un verset dans la liturgie d’une messe, ou bien encore, par exemple, la récitation d’un psaume aux matines d’une fête religieuse occasionnent la traduction. Chaque psaume se voit ainsi assigner, outre sa signification originelle, littérale, un sens chrétien qui la redouble et l’augmente. Mais la tradition chrétienne ne se limite pas à ce double sens (sens historique, ou littéral ; sens allégorique, centré sur le Christ) : elle y ajoute un sens moral (centré sur la vie de l’âme) et un sens eschatologique (qui s’intéresse aux fins dernières, à l’au-delà). Claudel s’approprie pleinement cette tradition interprétative et en nourrit ses traductions : à la lettre du texte, il surimpose un contexte liturgique, des réalités chrétiennes, mais aussi ses propres préoccupations d’homme et de croyant. Le texte des psaumes en paraît profondément bouleversé, modernisé, parfois méconnaissable.

Le texte biblique, cependant, n’est jamais oublié : Claudel ne cherche pas, comme certains de ses contemporains (Marie Noël ou Patrice de La Tour du Pin, par exemple), à reprendre simplement une forme ou un genre littéraire. Sa méditation reste toujours greffée sur le texte biblique, et il s’inspire souvent, en dépit de ses incessantes moqueries à l’égard des exégètes contemporains, des commentaires érudits qu’il trouve dans sa Bible. Même dans les traductions les plus libres, on retrouve le mot ou l’expression qui, du verset latin, a permis l’éclosion du verset claudélien, tandis que certains psaumes ou certains versets – les plus sacrés aux yeux de Claudel – se trouvent traduits avec une littéralité qui s’apparente au calque – mais qui ne garantit pas pour autant le respect du sens littéral.

Dans cette exploration des rapports entre la lettre du texte et son esprit, Claudel retrouve les questions qui s’étaient posées à lui dans la traduction de l’Orestie d’Eschyle, ou celles de Coventry Patmore ou G. K. Chesterton. Malgré ses fréquentes dénégations en tête des traductions de psaumes (« Il ne s’agit pas de littérature ! », « ce n’est pas beau »), celles-ci restent en effet traversées de considérations poétiques. Comment s’en étonner quand l’auteur que la tradition attribue aux Psaumes n’est autre que David, le roi poète ? Au fil du temps apparaît le désir de remonter jusqu’à la voix originelle des psaumes – celle de Jérôme, dont Claudel dresse un portrait en miroir dans Visages radieux (« Saint Jérôme »), puis celle de David lui-même, autre figure d’identification. « Parler David à Dieu », afin de « traduire [soi] à Dieu » tout en traduisant Dieu à soi, telle est la poétique de ces traductions. Dans le mélange subtil des voix qui associe à la voix du psalmiste celles du Christ, de Jérôme, de Claudel, mais aussi de tout chrétien, naît l’unité paradoxale et surprenante d’un « je » qui « se compose dans le psaume ». 

 

Marie-Ève Benoteau-Alexandre

 

Œuvre : 

Paul Claudel, Prière pour les paralysés suivie des Quinze Psaumes graduels, Horizons de France, 1944. (Plaquette réalisée au bénéfice de l’Association des Paralysés de France, tirage unique de 1 000 exemplaires.) 
Paul Claudel traduit librement les Sept Psaumes de la pénitence, Le Seuil, 1945, rééd. 2007.  
Paul Claudel répond les Psaumes, Ides et Calendes, 1948.  
Paul Claudel, Psaumes. 1918-1953, Desclée de Brouwer, 1966, dernière réédition : Gallimard, 2008.  
Édition critique : Marie-Ève Benoteau-Alexandre, Les Psaumes selon Claudel, Champion, 2012.
 

 

Bibliographie critique : 

Marie-Ève Benoteau-Alexandre, Les Psaumes selon Claudel, Champion, 2012.

Pascale Alexandre-Bergues, « Les écritures claudéliennes dans les Psaumes », [in] Écritures claudéliennes, L’Âge d’Homme, 1997, p. 32-43.

Dominique Millet-Gérard, « Le Psautier claudélien ou le bel infidèle », Question de, n° 94 (L’Approbation sacrée. Paul Claudel et la Bible), 1993, p. 149-163.

 

Psaume 4
Le jour finit, et le tracas avec lui de ce long jour qui s’affaiblit.
Le silence s’est fait et le décollement au fond de moi de ces lèvres où naît le miserere.
Cet appesantissement de ton cœur, ô mon enfant, pourquoi ? il n’y a pas que la vanité et le mensonge.
Il y a cette merveille en toi qu’on ne peut pas t’enlever : il y a cette espèce en toi sourdement de vibration qui s’accentue.
Emporte-le avec toi pour le mêler au sommeil qui commence, ce mécontentement de ton péché, cette composition salutaire avec la honte.
Ce sacrifice dans la nuit qui fume ! Où êtes-vous, mon bien ?
Où êtes-vous, tison ? rouge lueur au fond de mon âme comme une braise !
L’âme ! l’âme en moi qui s’abandonne à une espèce de multiplication sacramentelle !
Il y a cette paix en moi qui va à la rencontre du sommeil.
Il y a ce trésor en moi d’une espérance que Tu m’as donnée afin que nous la partagions à nous deux.
Paul Claudel, Psaumes © Gallimard