Bulletin de la Société Paul Claudel, n°194

Sommaire

Dominique MILLET-GÉRARD
Correspondance de Claudel avec les ecclésiastiques de son temps : choix de lettres, 2

Sœur MARIE DE L’ASSOMPTION, OP
Correspondance de Claudel avec les ecclésiastiques de son temps : « J’ai tout reçu de la Sainte Église catholique », 12

Claudel et la NRF
– Pascal MERCIER : Claudel et La Nouvelle Revue Française, 16
– Bruno CURATOLO : Claudel et Ramuz : passage de la poésie, 19

En marge des livres
– Michel CAGIN : Actes du colloque « Le Poète et la Bible », St-Pétersbourg, 33
– Maris-Ève BENOTEAU : Claudel et la Hollande, dir. Marie-Victoire Nantet, 36
– Machiko KADOTA : Les Poèmes chinois de Paul Claudel, 38

Note de lecture
– Victor MARTIN-SCHMETS : Les curieux ouvrages de Francis Vetch, 41

Exposition
– Raphaèle FLEURY : « Craig et la marionnette », 49

Multimédia
– Jacques PARSI : Partage de Midi d’Antoine Vitez, 51

Recherche
– Martin KUCERA : Autour de la mise en scène de l’œuvre claudélienne en Bohême, en Moravie et en Silésie, 53

Bibliographie, 62
Annonces, 66
Rencontres de Brangues 2009, 72

 

L’union des « vrais » :
Claudel et La Nouvelle Revue Française

Lorsqu’il s’agit d’étudier la relation d’un écrivain avec la revue qui publie ses textes la source prioritaire de documentation ce sont ses correspondances avec les animateurs du périodique en question. Ainsi notre perception des rapports de Claudel avec La Nouvelle Revue Française s’est précisée au fur et à mesure que ses échanges épistolaires avec Gide, Rivière, Gallimard et Paulhan étaient publiés entre 1949 et 2004. Par ailleurs des études précises, comme celle de Sylvia Caides Vagianos (Paul Claudel and « La Nouvelle Revue Française » 1909-1918, Droz et Google Livres) et surtout les trois tomes fondateurs d’Auguste Anglès (André Gide et le premier groupe de « La Nouvelle Revue Française », Gallimard, 1978-1986), évoquent dans le détail la première partie de cette histoire. Nul doute qu’un jour prochain d’autres travaux de thèse poursuivront la tâche de ces deux précurseurs soit en prenant en compte l’ensemble de sa collaboration soit en se restreignant à la période qui va de l’entre-deux-guerres à la mort de Claudel. Dans l’attente de ces travaux, il nous a paru utile de revenir ici sur les origines de la participation de Claudel à cette glorieuse aventure, sur la part qu’il y a prise (ce qui revient en fait à mesurer la place que Gide et ses successeurs lui accordèrent) et enfin de montrer qu’au delà des brouilles ultérieures Claudel demeura attaché non à un « esprit » qu’il ne partageait guère mais à une entreprise éditoriale auquel il avait souscrit avec enthousiasme.

Captation

Au début il y a bien évidemment le lien de confiance et d’amitié tissé avec Gide. Il faut rappeler que celui-ci avait été un lecteur admiratif de Tête d’Or dès 1891, qu’il avait fait connaissance de Claudel chez Marcel Schwob en 1895 et que leur dialogue épistolaire remontait à 1899. Dans la première décennie du siècle nouveau l’auteur des Nourritures terrestres avait saisi toutes les occasions de rendre service à celui de Connaissance de l’Est alors en Chine, se faisant intermédiaire avec le Mercure, placeur de ses textes (dont L’Échange à L’Ermitage) mais aussi correcteur pas toujours éclairé de sa copie.

Ils se trouvent tous deux dans un ghetto d’écrivains encore « maudits » qui n’avaient pu accéder aux organes de la consécration littéraire. Las d’attendre la reconnaissance d’un plus vaste public, ils vont créer la tribune où ils pourront enfin donner leur mesure. Toutefois plus qu’une entreprise générationnelle, comme la présentait Eugène Montfort lors de la tentative avortée de 1908, La Nouvelle Revue Française se devait d’être, dans l’esprit de Gide et de ses proches, le rassemblement des « vrais », (voir sa lettre à Claudel du 9 janvier 1909). Après cette mise au point flatteuse Gide laisse entendre à son correspondant que la naissante revue se doit d’assurer la divulgation de ses œuvres (il tente de détourner un manuscrit envoyé peu avant à L’Occident et ce n’est là que le début d’un sournois travail de sape contre ce concurrent). Dans sa réponse du 28 janvier Claudel applaudit des deux mains à cette œuvre de « reconstruction » menée par les « meilleurs ». Ce que Gide lui propose c’est un statut de collaborateur extérieur et c’est bien ainsi que le prend Claudel qui parle toujours à ses différents interlocuteurs de La NRF comme de « votre » revue, sans jamais passer à « notre ».

Hôte de marque

Dans le langage des relations internationales on dirait que La NRF accordait à Claudel la clause du collaborateur « le plus favorisé ». Il est alors celui dont le parrainage était le plus avidement recherché. Pratiquement cela revenait à satisfaire avec empressement toutes ses exigences, à lui accorder priorité dans les sommaires et évidemment à ne jamais lui refuser le moindre de ses textes (privilège parfois disputé dans les années 1930 vu l’encombrement desdits sommaires).

Il y avait de la part des animateurs de La NRF la conscience que se soumettre à ses caprices typographiques et à ses consignes très impératives de mises en page était le meilleur moyen de fidéliser sa collaboration (en raison même d’expériences amères qu’il avait pu vivre dans d’autres périodiques). Gide est le garant de l’exécution de ses ordres et les correspondances internes du groupe témoigne du scrupule extrême avec lequel il les fait respecter. Pour Claudel on déroge aussi à certains des principes fondateurs de la revue dont celui qui consistait à refuser de parler des proches collaborateurs afin de ne pas prêter le flanc à l’accusation d’être une chapelle d’admiration mutuelle (on se reportera aux rubriques finales de nombreux numéros de la première série pour voir quelle place éminente lui est réservée).

Il s’agissait enfin de le défendre contre les attaques extérieures. L’exercice pouvait être périlleux puisqu’il ne fallait pas pour autant entrer dans des polémiques susceptibles d’irriter Claudel lui-même. En septembre 1911 Copeau s’en tire magistralement en faisant ainsi un sort à Paul Reboux : « l’auteur de Maison de Danse et la Petite Papacoda toisant avec cette superbe l’auteur de L’Arbre et de Connaissance de l’Est ; voilà un spectacle extraordinairement bouffon […] C’est la vertu d’un Mallarmé ou d’un Paul Claudel d’interdire à certaines intrusions de leur domaine… » Manière sobre de mêler défense et éloge sans tomber dans la flagornerie. Dans le même ordre d’idée Claudel fut le seul auteur de la première série à se voir consacrer un « hommage » de son vivant. Cet hommage occupe ainsi la moitié du numéro de décembre 1936 sous la rubrique « Grandeur de Paul Claudel ». Sans faire référence explicite à l’actualité, la réaffirmation de cette « Grandeur » tombait à pic pour laver l’affront du camouflet académique de l’année précédente.

L’accumulation de ces attentions ne pouvaient manquer d’atteindre leur but en flattant l’écrivain Claudel mais elle était contrebalancée par l’irritation – ou même le scandale – que provoquaient chez lui certaines des contributions publiées par la revue.

Résolution des crises

S’il n’y eut pas, à notre connaissance, de textes écartés par ce qu’on craignait d’indisposer Claudel il est certain qu’une appréhension est perceptible dans les rangs de la première NRF à l’occasion d’une note que l’on devinait de nature à le froisser. Toutefois Claudel ne manquant pas une occasion d’agiter la menace de son départ, celui-ci finissait par paraître inéluctable.

Que ce soit en mars 1914, en août 1922 ou encore en décembre 1928 les crises interviennent après lecture d’un texte à connotation homosexuelle ou irréligieuse qui agissent sur lui comme autant d’explosifs révélateurs d’un dissentiment déjà ancien (mais il serait sans doute illusoire de croire que Claudel est le seul à se brouiller avec la revue, il suffit de voir qu’après 1919 quatre des six fondateurs s’en sont éloignés).

Si ces crises finissent par aboutir à des réconciliations c’est d’abord parce que Claudel les vit sur le mode de l’émotion et que son ire finit par retomber. La patience, la diplomatie et les témoignages réitérés d’admiration par les animateurs successifs de La NRF le convainquirent qu’ils demeuraient les plus fervents défenseurs de son œuvre.

Pascal MERCIER

 

Bibliographie

Paul CLAUDEL

Conocimiento del Este [Connaissance de l’Est], introduction et traduction en espagnol de Jorge Najar, Lima, éd. Pontificia universidad catolica del Peru, Pérou.

 

Madeleine BERTAUD

François Cheng. Un cheminement vers la vie ouverte, Paris, Hermann, 2009.

 

Milos MARTEN

Au-dessus de la ville [Nad mestem, 1917], publié à l’occasion du colloque « La Bohême, un foyer du baroque européen : le dialogue des arts dans le baroque tchèque », traduit du tchèque par Xavier Galmiche, Bohemica, 2002.

 

Claudel politique. Actes du colloque international de l’université de Franche-Comté, 12, 13 et 14 juin 2003. Textes réunis et présentés par Pascal Lécroart, préface de Jacques Julliard, éditions Aréopage, mars 2008 (Renvoi 1).

 

L’Oiseau noir. Revue d’études claudéliennes XV, Cercle d’études claudéliennes au Japon, 2009 (Renvoi 2).

 

Didier ALEXANDRE

« Exégèse de l’événement », p. 93-102 (1).

 

Michel AUTRAND

« La royauté et sa mise en spectacle dans le premier théâtre de Claudel (Tête d’Or, La Ville) », p. 209-224 (1).

 

Stéphane BAQUEY

« La représentation de l’espace chinois dans Connaissance de l’Est : Claudel démocrate ? », p. 337-352 (1).

 

André BLANC

« Justice et violence dans le théâtre de Claudel », p. 199-208 (1).

 

Brigitte BRAUNER

« Zdenka Braunerova, artiste tchèque, artisan de l’Europe », in L’Amitié franco-tchéco-slovaque n° 2, mars 2009, p. 5-8.

 

Michel BRETHENOUX

« Claudel, patriote militant (1914-1940, ou Claudel sous le signe du sang », p. 117-142 (1).

 

Christelle BRUN

« Claudel commissaire international pour la frontière germano-danoise du Schleswig-Holstein », p. 383-398 (1).

 

Shinobu CHUJO

« La Tragédie grecque, le Nô et la Messe – dramaturgie de Claudel », in Renaissance du Théâtre Grec et du Nô, Tokyo, éd. Suisei-sha, mars 2009.

« Le rêve de Claudel au Japon », p. 399-404 (1).

 

Robert DAMIEN

« Le concept de ville selon Claudel : une matrice politique », p. 185-192 (1).

 

Yvan DANIEL

« Paul Claudel aux funérailles de Tseu-Hi », p. 353-362 (1).

 

Émilie DESVAUX

« Alchimie du verbe poétique ou calligraphie japonaise de Claudel dans Cent phrases pour éventails », in Calligraphie/Typographie, textes réunis par Jacques Dürrenmatt, éd. l’Improviste, mars 2008.

 

Michel FARTZOFF

« Le choix politique d’une traduction ? L’Orestie », p. 251-260 (1).

 

Jeanyves GUÉRIN

« De Gaulle, l’Europe et le totalitarisme dans la réflexion politique de Claudel », p. 143-156 (1).

 

Nina HELLERSTEIN

« Claudel et la politique américaine », p. 405-416 (1).

 

Holger Christian HOLST

« Face à la catastrophe : un nouveau regard sur quelques aspects biographiques de Paul Claudel avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale », p. 361-374 (1).

 

Jacques HOURIEZ

« La tentation anarchiste dans les premières pièces de Claudel », p. 225-236 (1).

 

Keiko IDO

« Nikko vu par les ambassadeurs – ce que Claudel a vu », p. 1-32 (2).

 

Jacques JULLIARD

« Coûfontaine et Turelure : les deux politiques de Claudel », préface, p. 9-25 (1).

 

Michio KURIMURA

« Commentaires sur Cent phrases pour éventails (8) », p. 78-123 (2).

 

Pascal LÉCROART

Introduction, p. 27-34 (1).

« La réception de Jeanne d’Arc au bûcher de 1940 à 1945 », p. 261-276 (1).

 

Michel LIOURE

« Figures politiques chez Paul Claudel », p. 157-172 (1).

 

Sever MARTINOT-LAGARDE

« Bouffonnerie claudélienne et satire politique », p. 173-184 (1).

 

Catherine MAYAUX

« Claudel poète de la guerre », p. 103-116 (1).

 

Renaud MELTZ

« Paul Claudel et Alexis Leger : comment peut-on être à la fois ambassadeur de France et poète ? », p. 417-436 (1).

 

Dominique MILLET-GÉRARD

« Ovide, Claudel et l’”évolution” : La Légende de Prâkriti », in Ovide, figures de l’hybride. Illustrations littéraires et figurées de l’esthétique ovidienne à travers les âges, éd. H. Casanova-Robin, Champion, 2009, p. 447-460.

« Le sens littéral dans l’exégèse claudélienne », in Le Sens littéral des Écritures. Actes du colloque de l’École Biblique de Jérusalem, éd. O.-Th. Venard, Cerf, « Lectio divina », 2009, p. 263-292.

« Claudel et le rêve monarchiste », p. 43-64 (1).

 

Yehuda MORALY

« Paul Claudel et les Juifs », p. 289-304 (1).

 

Thérèse MOURLEVAT

« Paul Claudel et l’épicerie, ‘le plus beau des métiers’ », p. 325-336 (1).

 

Tetsurô NEGISHI

« Claudel et la littérature japonaise – autour de son petit poème à la japonaise : La nuit du 1er septembre 1923 entre Tokyo et Yokohama ou HAÏ-KAÏ », p. 60-74 (2).

 

Atsushi ODE

« La Poésie achevée dans le néant – Paul Claudel et le Haïkaï », p. 35-57 (2).

 

Claude-Pierre PÉREZ

« De la milice pour l’église. Littérature, religion, politique (1890-1913) », p. 65-76 (1).

 

Timothée PICARD

« Claudel et le Gesamtkunstwerk comme projet politique », p. 305-318 (1).

 

Carole REYNAUD-PALIGOT

« Claudel au Brésil », p. 375-382 (1).

 

Hélène de SAINT-AUBERT

« Un hommage de Claudel à Israël », p. 277-288 (1).

 

Frédérique TOUDOIRE-SURLAPIERRE

« La Ville, la scène et le politique », p. 237-250 (1).

 

Marie-Joséphine WHITAKER

« Le Journal de Claudel : pensée politique ou recherche d’une sagesse ? », p. 77-92 (1).