Rencontres 2005 – Revue de presse

Anniversaire

Le cinquantenaire de sa mort est un peu occulté
Claudel dans les catacombes

par Hervé de Saint Hilaire, Le Figaro [29 juin 2005]

C’est une bonne nouvelle : après une interruption en 2001, Les Rencontres de Brangues (dans la propriété de l’Isère qu’acheta le poète en 1928) créées en 1972 par Jacqueline Veinstein et Renée Nantet-Claudel, la fille du poète, toujours enthousiaste, existent à nouveau. Cela aurait été dommage qu’il en fût autrement l’année du cinquantenaire de la mort de l’auteur du Soulier de satin. Elles ont eu lieu le week-end dernier et c’était passionnant.

Des conférences, des débats à l’ombre du grand tilleul. Un concert qui est aussi une création musicale, dans l’émouvante petite église de Brangues : Rituel. Claudel répond les psaumes. Une récitante dit les psaumes revisités par le poète et aussi des extraits de Tête d’or, du Partage de midi et du Soulier de satin. La parole sonore et musicale de Claudel est ici accompagnée, soutenue par une composition raffinée, incantatoire, pleine de douceur et de violence, à l’image du propos au fond.

Il y a un piano et un clavecin qui communient mystérieusement, un extraordinaire percussionniste, virtuose dans le son des cloches, une vibrante soprano qui porte le joli nom de Mélody Louledjian ; il y a de la précision, de la liberté et une belle énergie. Une oeuvre magnifique commandée au compositeur Yves Prin par Thierry Ravassard, animateur de l’Ensemble In et Out, oeuvre dont on espère qu’elle aura l’occasion d’être très rapidement enregistrée et jouée dans d’autres lieux.

Il y eut aussi dans la ferme du château de Brangues un autre moment intense : la lecture dirigée par le metteur en scène Christian Schiaretti de L’Annonce faite à Marie, exercice prometteur pour le spectacle qu’il prépare pour cet automne et cet hiver au TNP Villeurbanne et au Théâtre de Sceaux. Bonne nouvelle soit. Des curieux, des comédiens, des metteurs en scène, des universitaires, des amateurs, des étudiants, sont venus dans cette campagne caniculaire de l’Isère se ressourcer à la fontaine du grand lyrique. Mais beaucoup sentent qu’ils vont rester sur leur soif et s’étonnent qu’à l’occasion de cet anniversaire la France soit si discrète (davantage que le Japon !) en ces temps pourtant tapageurs de commémorations.

"Bêtise idéologique, crispation laïcarde, peut-être ?", s’interroge Schiaretti, peu suspect pourtant, à l’instar d’un Vitez, d’être un militant de l’Eglise triomphante mais, en revanche, lui aussi soldat courageux du langage et du théâtre poétique (on se souvient de ses récents et éblouissants Calderon au Français).

En effet, l’anniversaire de la mort de Claudel donne lieu à un silence assourdissant. Aucun hommage sur les grandes scènes nationales, ne parlons même pas des écrivains, des critiques, encore moins des politiques. Il n’y a aujourd’hui au fond que les secrets rebelles pour oser saluer Claudel, le poète ambassadeur couvert de gloire, qui eut certes en 1955 les honneurs de funérailles nationales mais qui fut aussi un mangeur du monde, un poète "fécondé" par Rimbaud le voyou, qui rêva d’être épicier, et restait plus fier d’avoir vendu des tonnes de lard à la Chine que d’avoir écrit les Cinq grandes odes, cette splendeur.

Cela dit, il y a plusieurs personnes qui vont célébrer le vieux poète et ses suavités torrentielles, ce vagabond, ce terrien ailé, ce catholique, ce païen, ce désirant, ce péquenaud enchanteur dont la gloire aujourd’hui semble sommeiller dans les catacombes. France-Culture, du 25 au 29 juillet, consacrera près de dix-huit heures de ses émissions à Claudel. Il y a aussi une exposition au Museum de Lyon (le premier musée Guimet) – "Destination Japon. Sur les pas de Guimet et Claudel" – organisée, entre autres, par Michel Wasserman, japonisant érudit et passionné.

On peut y voir quelques merveilles que de grands peintres japonais ont offert à Claudel (qui fut, de 1921 à 1927, ambassadeur, efficace et esthète, à Tokyo) et aussi un extraordinaire exemplaire de Cent phrases pour éventails, ces haïkus claudéliens dialoguant avec la calligraphie dont l’un dit : "Chut ! si nous faisons du bruit le temps va recommencer." Beau conseil, judicieuse invitation au silence. Mais, s’agissant du souvenir de Claudel, il faudrait peut-être, un peu, lui désobéir.