Claudel et le Brésil

(février 1917 – novembre 1918)

Au milieu des hostilités de la Première Guerre mondiale, à la fin de la mission diplomatique de Claudel à Rome, Philippe Berthelot lui offre le poste de ministre à Rio de Janeiro. Parmi ses tâches importantes, il doit encourager le Brésil à rejoindre le camp des Alliés, augmenter l’influence française, et réduire celle des Allemands, présents dans la région et dans le commerce brésilien. Un autre aspect de son action diplomatique est la recherche d’une solution au problème du Brazil Railway, où d’importants capitaux français ont été engagés et dilapidés. Claudel réussit à régler le problème par un accord qui cédera à la France, en échange des fonds perdus, trente bateaux allemands devenus propriété brésilienne au début de la guerre. Comme dans ses autres postes diplomatiques, il apporte à sa mission un esprit pragmatique et une grande curiosité pour la culture nouvelle, visitant lui-même les lignes du chemin de fer dans la forêt tropicale, explorant plusieurs régions sauvages du pays, et rencontrant des personnalités marquantes comme Ruy Barbosa, l’un des pères de la république brésilienne.

Le poète profite aussi de son séjour brésilien pour poursuivre plusieurs activités artistiques du plus haut intérêt. La présence de Darius Milhaud, qui l’a accompagné en qualité de secrétaire, l’aide à continuer ses explorations dans le domaine théâtral et musical. Après L’Ours et la lune (1917), « une espèce de bouffonnerie qui recule les limites de l’art en ce genre, mais où il y a cependant pas mal de poésie et même de tristesse » (Corr. Frizeau, p. 292), il s’intéresse au ballet et compose, en collaboration avec Milhaud, L’Homme et son désir (1917). Cette dernière œuvre doit une partie de son inspiration au passage à Rio des ballets russes de Diaghilev, avec le célèbre ballet « Parade », et la rencontre du grand danseur Nijinski. Parmi les collaborateurs et amis de Claudel se trouve également Audrey Parr, surnommée « Margotine », la jeune et belle épouse du conseiller à la légation britannique, qui dessine les costumes du ballet. C’est aussi pendant le séjour au Brésil que Claudel reçoit la lettre qui deviendra la « lettre à Rodrigue » et qui donnera l’impulsion à la composition du Soulier de satin. Le séjour brésilien a influencé l’atmosphère de la pièce et sa situation géographique et culturelle dans le monde ibéro-américain.

La mission brésilienne de Claudel se termine avec l’armistice. Grâce à la chaleur de l’environnement amical et artistique qui s’est constitué autour de lui, au caractère étonnant et démesuré de la nature tropicale du continent sud-américain, et à la complexité stimulante des problèmes qu’il avait à régler, le poète-diplomate se rappellera plus tard sa mission brésilienne comme « la plus intéressante de ma vie » (Prose, p. 1100).

Nina HELLERSTEIN

Bibliographie :
Lucile Garbagnati, « Du café au Livre de Christophe Colomb », Claudel Studies, XII, 1985.