Bulletin de la Société Paul Claudel, n°171

Sommaire

Renée CLAUDEL-NANTET
–Allocution à l’Institut Franco-Japonais du Kansai, 2

Jacques BÉSINEAU
– Une journée « claudélienne » à Kyôto, 4

Michel WASSERMAN
– Une œuvre claudélienne : l’Institut Franco-Japonais du Kansai, 6

Philippe POSTEL
– Stèles mystérieuses, éventails mystiques, 13

Yvan DANIEL
– « Oriens nomen ejus » : Les spiritualités asiatiques dans la pensée et l’œuvre religieuse de Paul Claudel, 45

En marge des livres
– Pierre GRÉMION : Jacques Boncompain, La Révolution des auteurs, 58

Notes de lecture
– Nathalie FROLOFF : Étude de trois chroniques poétiques de Claudel parues dans La N.R.F., 63
– François ANGELIER : Henri de Régnier, Les Cahiers inédits 1877-1936, 70
– Christelle BRUN : La bibliothèque d’Edwin Maria Landau, 71
– Emmanuelle de BOYSSON : Biographie de Georges Izard. Extrait, 72

Théâtre
– Jens ROSTECK : « Entre l’excès et l’ascèse ». La nouvelle mise en scène
du Soulier de satin de Stefan Bachmann à Bâle
au miroir de la critique allemande et suisse, 75
– Michel AUTRAND : Tête d’Or et L’Échange au Théâtre du Nord-Ouest, 82

Discographie
– Jean-Noël SÉGRESTAA : Une rencontre au sommet : le Chemin de Croix de Claudel-Escaich, 83

– Pascal LÉCROART : compte rendu du colloque « Claudel politique », Besançon, 12, 13 et 14 juin 2003, 87

Bibliographie, 90
Annonces, 92

 

« Oriens nomen ejus » (Zach. VI, 12) :
Les spiritualités asiatiques dans la pensée
et l’œuvre religieuse de Paul Claudel

Le colloque intitulé « La rencontre entre les religions d’Orient et d’Occident dans la littérature moderne », organisé par Muriel Détrie et Yinde Zhang, s’est tenu en Sorbonne du 6 au 8 février 2003. Plusieurs intervenants ont présenté des communications extrêmement intéressantes concernant Paul Claudel : Claudine Le Blanc (Université de Nantes) à propos de son regard sur les spiritualités de l’Inde, et le professeur japonais Hirakawa Sukehiro à propos de son interprétation de la religion shintô. Nous reproduisons ici, légèrement abrégée, la communication d’Yvan Daniel (Université de La Rochelle).

Paul Claudel a rencontré vivantes les spiritualités asiatiques dès 1896 et n’a jamais cessé de les méditer, pendant les vingt années de sa vie en Extrême-Orient et jusqu’à ce qu’il endosse l’habit du « patriarche de Brangues »1, tout absorbé par l’écriture exégétique des dernières années. Les allusions aux différentes spiritualités de l’Asie – hindouisme, bouddhisme, confucianisme, taoïsme – parcourent toute l’œuvre claudélienne, de façon apparemment dispersée et décousue : on découvre au fil des textes des analyses, des comparaisons, éventuellement des condamnations, mais aussi des analogies, des rapprochements, des considérations syncrétiques qui peuvent a priori sembler étonnantes. Si l’on rapproche toutes ces allusions pour en faire la synthèse afin de saisir l’ensemble du point de vue claudélien, on est tout d’abord frappé par d’apparentes incohérences, mais elles finissent par se résoudre dans la perspective d’une singulière preparatio evangelica dédiée à l’Extrême-Orient.

Les géographies de la Vérité

Pour Paul Claudel, la géographie terrestre, visible, doit pouvoir révéler une géographie spirituelle, invisible :

[…] s’il est vrai que Dieu a fabriqué la terre […], s’il en a médité et réalisé la carte physique, tout le plan, les contours, l’ossature, les organes et les membres, comment penser que son œuvre se soit arrêtée là et qu’à la carte physique ne vienne pas se superposer une carte spirituelle, une espèce de connaissance et de conscience morale et intellectuelle appropriée à l’orientation des divers sites, à la production et à la spécialité des divers climats et que toutes ses saveurs diverses, ou, comme dit Isaïe, tous ces seins multiformes, soient sans rapport avec l’éternelle Sagesse ?2

Le singulier atlas qui se dessine ainsi dans Au milieu des vitraux de l’Apocalypse distingue à la surface de la terre de larges zones qui correspondent aux cultures et aux convictions spirituelles des peuples. Entre l’Occident et l’Extrême-Orient, une vaste plaine d’inquiétude sépare l’Europe de l’Asie orientale :

L’Asie stagne au pied de ses montagnes, assise sur son marécage contemplatif : l’Europe faite de bras et de doigts s’active en une industrie incessante. Entre les deux, du Pacifique à la Baltique et à la Mer Noire, de l’Océan Glacial à l’Himalaya, s’étend une nappe humaine, moins sociale que visqueuse, sans horizon et sans racines, et que le souffle de l’Esprit pousse dans toutes les directions. Tout est obscur de ce côté.3

Pour se protéger de cette région sombre, les peuples de l’Occident, comme ceux de la Chine, ont mis en place une immense circonvallation, dès l’Antiquité : « À l’une des extrémités de la Cuvette les Chinois ont bâti leur muraille, comme une espèce de piège à sauterelles, et à l’autre extrémité nous-mêmes nous avons construit notre ligne Maginot, qui succède aux limes romains. » (« La Prophétie des oiseaux », Contacts et circonstances). Ces constructions sont dressées dans l’intention de protéger des invasions militaires, mais elles tracent aussi des frontières religieuses, qui sont largement perméables. L’hindouisme et le bouddhisme, originaires de l’Inde, sont au cœur de ces régions, et Paul Claudel s’interrogera longuement à propos de ces spiritualités.

Le bouddhisme, dans sa forme chinoise, fit l’objet d’un poème en prose intitulé « Bouddha »4, en 1899. Dans ce texte, Paul Claudel reprend et développe la condamnation unanime qui est celle des milieux intellectuels et catholiques français dans la seconde moitié du XIXe siècle : à la suite de Victor Cousin et de Jules Barthélemy Saint-Hilaire, il considère le bouddhisme comme un « culte du Néant »5 qui a de plus, selon lui, corrompu le taoïsme traditionnel6. C’est la même suspicion que l’on retrouve en 1926, dans le dialogue rédigé au Japon et intitulé Le Poète et le shamisen, évoquant « l’amère paix du paradis bouddhiste qui n’est peut-être pas très loin de l’enfer ». Le point de vue de Claudel sera plus nuancé lorsqu’il s’agira de se pencher sur l’hindouisme. En 1946, Emmaüs7 s’ouvre sur une méditation fondée sur la lecture de deux ouvrages de Romain Rolland consacrés aux mystiques hindous modernes, La Vie de Ramakrishna et La Vie de Vivekananda et l’Évangile universel8. Pour Claudel, le bouddhisme parvient à atteindre, dans une « communion monstrueuse »9, une paisible jouissance dans le sentiment et la méditation de l’absence de Dieu, ce « Néant » du silence et du refus. Mais l’hindouisme – au moins dans les formes renouvelées qu’il prend à partir de la seconde moitié du XIXe siècle avec Ramakrishna (1836-1886) et son disciple Narendra Nath Datta (1863-1902), qui prit le nom religieux de Vivekânanda – est traité bien différemment. L’hindouiste, en effet, cherche à atteindre une Personne Suprême qui « est Dieu », reconnaît Claudel, même s’il ajoute ensuite : « je ne dis pas le bon Dieu »10. Le texte d’Emmaüs contient de longs passages des ouvrages de Romain Rolland, recopiés puis commentés. Deux points retiennent particulièrement l’attention de Claudel : la pratique du yoga tout d’abord, notamment la bhakti, discipline de dévotion prédominante dans l’hindouisme, et certaines contradictions qu’il pense devoir dénoncer, en particulier dans le domaine de la morale et du sens du péché.

Claudel s’intéresse en effet aux pratiques du yoga qu’il définit comme « une méthode, une ascèse, une gymnastique, à la fois intellectuelle et physique ». Il les compare aux actes de dévotion des moines chrétiens et reconnaît qu’il est nécessaire d’employer « une certaine technique, un peu physique et surtout mentale » pour obtenir « l’obéissance de la personne intégrale » : la prière vocale, la contemplation, les sacrements en sont les principaux instruments. Mais en recherchant « la syllabe extatique », l’Hindou devient ce que Claudel appelle un « mystique à l’état sauvage »11. La délivrance recherchée risque de transformer l’ascète en « une conscience sans visage », état qui provoque la « répulsion » de l’auteur. Répulsion d’autant plus forte que le Dieu des Hindous que décrit Claudel « transcende les notions du Bien et du Mal »12 et refuse apparemment la notion de faute ; il peut se manifester aussi bien sous les aspects de Krishna que de Kali. L’auteur, ici, se fait fort de dénoncer les contradictions des pratiques hindouistes qui exigent du disciple qu’il renonce au mal, au péché, mais présente Dieu comme un Absolu indifférent.

Toutes ces réticences et ces attaques, toutefois, ne font pas de ce texte un argumentaire contre les gentils, et il serait simpliste d’interpréter ces analyses, fussent-elles critiques, comme une condamnation totale et définitive de la spiritualité hindoue. Claudel utilise à nouveau la géographie pour considérer l’Inde comme le lieu d’un inquiétant grouillement démiurgique, avec ses trois cent soixante quinze mille divinités : « Étrangère à ce cataplasme de glace que la Providence cosmique a fait passer sur le corps de l’Europe, non rafraîchie comme elle par le souffle salubre de l’abîme océanique, l’Inde continue à haleter dans le climat du Démiurge. »13 C’est l’essayiste britannique G. K. Chesterton, dont Claudel fréquente les ouvrages depuis de nombreuses années, qui est alors cité en note : « Ce n’est pas un préjugé, mais le contact expérimental, qui déclare que l’Asie est pleine de démons aussi bien que de dieux. »14 Et la précision suivante apparaît aussitôt : « Ainsi dans le monde des insectes les déprédateurs à qui la Providence fournit l’antagoniste approprié. » Comme les dieux et les démons qui fourmillent en Inde, mensonges et vérités se côtoient et pour finir se dévoilent. Il y a ainsi dans l’hindouisme une part de vérité, qui ne doit pas être négligée, et Claudel n’hésite pas à rendre explicitement hommage aux mystiques hindous : « Il n’est pas sans mérite et sans beauté cet effort aveugle vers le soleil », note-t-il, pour insister ensuite en expliquant que même dans la chrétienté, « après tout », nous pouvons découvrir « ce même désir de l’absolu et cette même horreur du contingent », une « vocation profonde à un état de nette disponibilité »15. Claudel fait ensuite allusion à la rencontre de Ramakrishna et du guru Tota Puri (« Totapuri » dans le texte), en citant l’ouvrage de Romain Rolland. Après sa rencontre de Tota Puri, Ramakrishna, initié au Védanta, avait atteint le nirvikalpa-samadhi, cet état psychique sans contenu qui lui permit de s’identifier par la suite à la totalité de la conscience cosmique, que Claudel choisit d’appeler la « matière de Dieu ». Ce stade représente pour l’auteur le sommet de l’accomplissement spirituel de l’hindouisme : « […] Ramakrishna, plus distinctement, semble-t-il, que ses devanciers, est arrivé à la notion de Dieu, non pas seulement en tant qu’être, mais en tant que cause de tout. » La pensée hindoue s’arrête là, regrette ensuite l’auteur, qui constate que cette « Délivrance » n’aboutit pas à la considération ou à la révélation d’un Dieu personnel, sollicitant l’homme dans le sens de son projet universel, comme c’est le cas dans le christianisme.

L’hindouisme s’est ainsi élevé jusqu’aux premières marches d’une sorte de révélation auquel il aboutit dans la tension d’un effort qui reste suspect. Claudel se souvient encore de G. K. Chesterton lorsqu’il évoque en filigrane ce que l’on pourrait appeler les errances de la vérité : l’erreur ou le mensonge, dans le domaine spirituel, n’est jamais que la vérité égarée, confuse, contrainte ou incomprise16. Aussi reconnaît-il que l’hindou « aspire à pleins poumons la force de Dieu, le génie de Dieu, la gloire de Dieu » et que sa pratique de la bonté est tout à fait honorable, même si « une doctrine fausse lui sert tant bien que mal de véhicule ». Cette démarche, qui consiste à analyser de près les spiritualités orientales pour y retrouver des analogies et des parts communes avec le christianisme, est constante et prend fréquemment la forme de la métaphore géographique que nous avons évoquée.

Au-delà des condamnations et des mises en garde, il semble qu’il existe pour Claudel un rapport mystérieux entre la notion d’Orient et celle de divinité. Dans le dernier chapitre d’Au milieu des vitraux de l’Apocalypse, l’auteur entame sa méditation sur la fin du monde par l’analyse de deux caractères, « le double sigle Alpha et Oméga ». C’est l’oméga qui nous intéresse ici, c’est-à-dire la dernière lettre, la fin ou la consommation des temps : Ω est un cercle ouvert et percé, posé sur un « double segment » rejeté qui prend les allures des « battants d’une porte », explique Claudel. Cette porte « béante » est vue comme la « Porte Orientale qui ne se refermera plus jamais. » Deux remarques s’imposent ici : tout d’abord, il n’est pas indifférent de voir la réflexion claudélienne se construire de façon idéographique, selon une méthode fantaisiste qui date du Japon des « Idéogrammes occidentaux ». Ensuite, on remarque que Claudel place l’ouverture de l’oméga à l’Est (quand un bon cartographe l’eût placée au Sud), ce qui lui permet d’emprunter la formule « Porte Orientale » à la vision d’Ézéchiel de l’Ancien Testament17. La porte du Temple qu’évoque le prophète, ouverte dans la direction de l’Orient, est significativement liée à l’apparition de Dieu. Plus tard, dans Un Poète regarde la croix, Paul Claudel invoque le « Seigneur, dont le nom propre est Orient… ». La référence à Zacharie est explicitée dans une note qui en revient au texte de la Vulgate : « Ecce Vir : Oriens nomen ejus » [Zach. VI, 12]. L’auteur ne s’embarrasse pas des difficultés d’interprétations de ce passage, et c’est à Dieu lui-même qu’il attribue ce nom. Écrire le nom de Dieu, son « nom propre », c’est un choix qui engage pour Paul Claudel un réseau dense de significations. Il faut en revenir au verbe latin orior, dont oriens est le participe, et qui signifie « se lever, naître, tirer son origine », pour comprendre pourquoi le mot a souvent été traduit par « germe » : il peut signifier le lever d’un astre ou le bourgeonnement d’une plante, en latin classique. Mais oriens, c’est plus précisément le « soleil levant » ou les « pays du levant », c’est-à-dire l’Orient au sens géographique du terme, qui ne tarde pas à prendre une portée symbolique : ce point cardinal, qui voit monter le soleil du matin, s’oriente vers Jérusalem, comme tous les chevets d’églises. Paul Claudel donne toutefois à ce mot une acception encore plus large et plus complète, il l’étend jusqu’à l’Extrême-Orient, vers l’Est lointain, dans un passage qui concerne spécialement les peuples de la Chine et du Japon.

À son arrivée en Chine, Claudel avait d’abord été tenté de croire à une sorte de « Révélation » particulière accordée à l’Asie. Il imagine et met en scène, dans Le Repos du septième jour (1896), l’apparition des prémices du christianisme dans la Chine antique. Ses références sont alors essentiellement religieuses, fondées sur les ouvrages des anciens figuristes jésuites qui pensaient avoir retrouvé « en figure », dans les Classiques chinois, les vestiges de la Révélation chrétienne. Il faut aussi remarquer que certains savants et géographes, comme Terrien de La Couperie que Claudel cite à plusieurs reprises, ou comme les frères Élisée et Onésime Reclus dans L’Empire du Milieu, affirmaient que les origines de la civilisation chinoise étaient sémitiques. Ces hypothèses sont rapidement abandonnées par le poète-diplomate qui les juge aventureuses dans Sous le signe du dragon ; mais la longue absence de contacts et d’échanges avérés entre l’Occident et l’Asie n’empêchent pas Claudel de considérer que la providence touche ces régions : « Le fait qu’une large partie de l’Humanité ne connaît pas le vrai Dieu n’empêche pas ce Dieu d’exister et d’agir. »

C’est à nouveau la géographie qui apparaît dans le motif de la montagne, très présent dans la pensée confucéenne et taoïste18, lorsqu’il s’agit pour Claudel d’évoquer la dimension spirituelle des paysages chinois qu’il a parcourus. Dans le beau passage de L’Épée et le Miroir intitulé « La Montée », le poète se souvient de la saison chaude qu’il passait à Kouliang, dans les hauteurs fraîches de Fou-tchéou. Le texte superpose trois plans : le souvenir, qui relève de l’expérience vécue, est transposé dans la description d’un paysage peint à la manière asiatique, minutieusement décrit de bas en haut ; l’ascension évoquée prend dans le même temps une dimension religieuse, car la montagne chinoise devient la « montagne du Seigneur » du Psaume 23 et rappelle le mont Abarim où doit mourir Moïse dans le Deutéronome. La tradition picturale chinoise dédiée aux paysages montagneux, de Jing Hao à Zhang Lu, est ainsi revisitée et le poète assiste à la « vaste messe que ne cessent de célébrer pontificalement les montagnes au-dessus de la terre. » Le paysage chinois apparaît ainsi sanctifié par la vision poétique ; il est bien plus qu’un décor, puisqu’il devient le lieu liturgique d’une cérémonie cosmique et rocheuse qui se déploie aussi bien dans la réalité que sur le rouleau du peintre. La montagne est alors un symbole essentiel, et pour tout dire une présence : dans Un Poète regarde la croix, Paul Claudel considère la montagne comme la « base » de la manifestation de Dieu sur terre et « comme le moyen de notre salut ». Sur le vaste « plan en relief du monde » dont il veut faire son ex-voto, Paul Claudel intègre la Chine de ses souvenirs, figée dans l’encre d’un peintre chinois qui révèle un paysage « spiritualisé ».

Il est vrai que la Chine, pourtant mal protégée des régions obscures de l’Asie centrale par sa muraille, n’offre au regard du poète que ce qu’il appelle des « contre-Christ doux » : Confucius et Lao zi. Dans une prosopopée qui pourrait sembler téméraire, Paul Claudel donne ainsi la parole à Dieu :

Je suis la Voie [Jn XIV, 6]. C’est Moi que le vieux Lao-Tseu est allé chercher de l’autre côté des montagnes de l’Ouest. Car c’est Moi qui suis le Tao, cette route oubliée dont il cherchait en vain l’accès parmi les replis nébuleux du vieux Dragon. C’est Moi dont Confucius a ressenti la présence au milieu de tout. (Un Poète regarde la croix19)

Plusieurs perles pour un orient

Cette citation importante mérite plusieurs éclaircissements. Elle se fonde sur l’idée que les pensées taoïste et confucéenne contiennent une part de la vérité chrétienne qu’elles ignorent pourtant. On peut y voir un effort de l’auteur pour intégrer à sa réflexion certains éléments de la pensée asiatique sans renoncer à ses propres convictions religieuses. Ce mouvement d’assimilation entraîne certes des choix et des condamnations, et nous remarquons que le bouddhisme, que nous avons déjà évoqué, n’est pas représenté ici ; mais le plus intéressant est d’examiner comment et dans quelle mesure Paul Claudel accepte d’assimiler pour partie la réflexion et la quête des taoïstes et des confucéens à sa propre vision religieuse.

Le récit du départ de Lao zi vers l’Ouest avait déjà fait l’objet d’un texte, intitulé « Le Départ de Lao Tzeu », qui servit de préface à la bibliographie des œuvres de Paul Claudel établie par Paul Petit et publiée en 1931. L’anecdote, fort connue, est tirée du Shiji de Sima Qian, dont Édouard Chavannes publia une traduction partielle en 189520. Ce « départ », bien qu’il ne soit jamais clairement explicité, est évidemment pour Claudel porteur de significations, et il n’est pas innocent de voir le « Sage » se transformer en « pèlerin » pour prendre la direction de l’Ouest où a eu lieu la Révélation. Cette direction était déjà évoquée dans Le Repos du septième jour, lorsque l’empereur annonçait la « gloire de la Vision » qui « viendra de la Montagne et de l’Ouest » au dernier acte. Le philosophe ou le « sage » chinois qui se dirige vers la vérité tourne ici les yeux vers le soleil couchant qui est pour lui la direction de Jérusalem : plusieurs récits de ce type parcouraient les milieux catholiques en Chine à l’époque du séjour diplomatique de Claudel. Le père Bertrand Cothonay, en poste à Fou-tchéou à cette période, fait ainsi état dans ses souvenirs d’une « légende » racontant l’histoire de l’empereur qui, ayant assisté en songe à la naissance d’un « sage » en Occident – le Christ –, envoya une ambassade vers l’Ouest ; les envoyés s’arrêtèrent en chemin, et ramenèrent d’Inde le bouddhisme… En réécrivant le récit de la disparition mystérieuse de Lao zi, Paul Claudel laisse deviner ce qu’il pense être l’aboutissement du taoïsme, c’est-à-dire la révélation du Dieu chrétien. Quelques années après la composition du « Départ de Lao zi », dans L’Épée et le Miroir, il rapproche explicitement la Révélation chrétienne de la quête taoïste. Ce rapprochement se construit, d’un point de vue poétique, sur le motif de la « perle » : en faisant référence à l’Évangile selon saint Matthieu (XIII, 45-46), Claudel renvoie à « l’homme qui s’amusait à collectionner des marguerites », c’est-à-dire à la parabole de la perle. Cette perle précieuse, c’est le « Un nécessaire », explique l’auteur, « ce résumé entre nos doigts de toute possession qui sert de porte à la Jérusalem mystique » (L’Épée et le Miroir). Et la parabole fait sens jusque dans les symboles religieux de l’Extrême-Orient où Claudel la retrouve lorsqu’il évoque les équivalents asiatiques de cette perle : « Telle est l’étoile polaire que le pèlerin taoïste va cueillir dans le moyeu même de la roue universelle, tel est le limpide joyau qui est enchâssé entre les deux sourcils de Bouddha. » La référence à Bouddha est surprenante ici, parce qu’elle contredit la majeure partie des autres textes claudéliens consacrés au bouddhisme. Quant à l’allusion à « l’étoile polaire », elle est significative car elle renvoie à cet astre immobile, point absolu contemplé dans la méditation du taoïsme religieux (ziwei dadi). En 1926, dans Le Poète et le vase d’encens, Hoang Ti, souverain mythique déjà invoqué à l’acte premier du Repos du septième jour, égare sa « Perle noire » – qui symbolise le Tao. C’est finalement « Sans-aucun-dessein » qui la retrouve après que « Sagesse », « Clairvoyance » et « Recherche-Véhémente » eurent échoué dans leur quête. En racontant cette légende, le vase d’encens fait rire le Poète qui dialogue avec lui et qui affirme, entre deux hoquets, que ce récit est « ridicule » et « stupide »… Cette réaction ne doit pas nous tromper, car si la perle représente effectivement ici le Tao, on a vu dans L’Épée et le Miroir que la quête du taoïste qui se dirige vers « l’étoile polaire » pouvait finalement se comparer à celle qui mène à la perle chrétienne, ce « pépin de la Grâce ». Le cheminement peut alors en effet se réaliser sans aucun dessein, dans une formule qui rappelle implicitement la doctrine taoïste du non-agir, wu wei. Lorsqu’il rédigera le texte intitulé Seigneur, apprenez-nous à prier (1941), Claudel fera de nouveau allusion à ce cheminement vers la Grâce, qui est presque involontaire : « L’Évangile nous dit : cherchez et vous trouverez [Mt VII, 7] ! Mais le Tao des Chinois nous dit de son côté : Ne cherchez pas et l’on vous trouvera. Les deux méthodes sont également recommandables. » Il ne s’agit bien sûr ici que de la « méthode » et non du contenu spirituel du taoïsme en lui-même, mais le rapprochement est clair et il signifie que la disposition d’esprit du converti chrétien peut être similaire à celle du « pèlerin » taoïste : cette disposition d’esprit consiste en une inactivité attentive, qui n’est pas passive mais se fonde sur le « vide », sur le « rien » que l’homme offre à Dieu afin qu’Il l’occupe. Dans « Le Sentiment de la Présence de Dieu » (1933), Paul Claudel expose clairement cette « méthode », mais sans citer explicitement son origine asiatique : l’effort de la conversion doit être, écrit-il,

[…] dans le sentiment dévorant, et si profond qu’il réside en nous comme un instinct, de l’intolérable injustice qu’il y a d’apporter à la volonté de Dieu aucune opposition, aucune opacité, d’être autre chose dans sa main que l’instrument le plus souple, et par rapport au créateur autre chose que sa créature, c’est-à-dire un être issu de rien. Il nous appartient de donner, si je puis dire, à ce rien une valeur active et positive, et d’embrasser par rapport à Dieu cet état d’attention totale et de disponibilité continuelle.21

Le « vide » du Tao, c’est donc aussi « l’esprit de l’homme » qui peut « mettre la bouche à la source même de la Création », lit-on dans Le Poète et le vase d’encens. Il ne s’agit pas ici pour Claudel d’assimiler le Tao à Dieu dans le cadre d’un argument apologétique qui serait simpliste et réducteur. L’analyse, nuancée, se fonde sur une véritable attention à ce qu’est le taoïsme et observe les rapprochements qu’il est possible d’opérer pour enrichir le point de vue occidental de toute la sensibilité propre à la pensée asiatique.

« C’est Moi dont Confucius a ressenti la présence au milieu de tout. », écrit Claudel dans Un Poète regarde la croix. La référence explicite à Confucius est assez rare dans l’œuvre claudélienne : le chapitre IV de Sous le signe du dragon contient un abrégé des principales caractéristiques de cette pensée, mais Claudel considère sans doute que l’œuvre de Confucius est plus politique et sociale que spirituelle ou religieuse. Deux thèmes importants retiennent néanmoins son attention face à l’œuvre de celui qui est appelé, par plaisanterie, le « vieux pédant » dans Le Poète et le vase d’encens. Il s’agit tout d’abord de la piété filiale et du rapport entre les vivants et les morts, dont il est question dans Le Repos du septième jour et surtout dans la dernière des Cinq grandes Odes, « La Maison fermée », dont l’argument de 1913 précise qu’elle est une « Salutation aux morts dont nous ne sommes pas séparés et qui ne cessent de nous être voisins. » Claudel affirme dans cette ode la supériorité de la célébration chrétienne des premiers jours de novembre, la commémoration des morts et la fête de tous les saints.

Dans la pensée confucéenne, c’est la notion de « milieu », que l’on retrouve encore tardivement dans la phrase d’Un Poète regarde la croix que nous citions, qui intéresse bien davantage le poète. Il l’a découverte dans la traduction des Quatre Livres par Séraphin Couvreur, à travers le Tchoung Ioung [Zhongyong] ou L’Invariable Milieu22, traditionnellement attribué à un petit-fils de Confucius. Dans Le Repos du septième jour, c’est l’empereur qui se réfère à plusieurs reprises à cette notion confucéenne, en parlant du « milieu indissoluble » à l’acte I puis de « l’inviolable Milieu » dans l’acte III. Le « Milieu » (zhong) pourrait simplement désigner la Chine ou la position intermédiaire de l’empereur, médiateur entre le Ciel et la terre. Le texte du Repos du septième jour montre que ce terme est plutôt utilisé pour signifier une certaine disposition d’esprit et un comportement :

Et quelle est la fonction auguste de l’Empereur préposé à l’inviolable Milieu ?
Sinon qu’entre le Visible et l’Invisible il maintienne l’éternelle harmonie, écoutant d’une oreille et de l’autre,
Afin qu’aucune note ne se fausse ?23

En plus du concept d’« inviolable Milieu », ce passage contient plusieurs indices qui laissent penser à une influence du Zhongyong. L’évocation de « l’éternelle harmonie » et la métaphore musicale qui lui sert d’examen sont tirées de la pensée confucéenne et des rites qui y sont attachés ; même si la formulation traditionnelle « le Visible et l’Invisible » renvoie à la vision catholique du Credo : « …visibilium omnium et invisibilium… » et s’amalgame ainsi aux références confucéennes qu’elle rectifie discrètement.

Il est difficile de dire comment Claudel comprend la notion de « Milieu » lorsqu’il la découvre pendant son séjour en Chine, mais il est certain qu’il en a saisi l’importance pour la pensée chinoise. L’exigence confucéenne résumée dans la notion de zhong yong, « Milieu juste et constant » traduit Anne Cheng, implique justesse, équité, équilibre et mesure ; elle a subi l’influence du taoïsme dont il est difficile de la séparer. L’homme authentique, « cheng jenn », transcrit Séraphin Couvreur qui traduit « le sage par excellence », réalise en lui les intentions célestes originelles, comme Claudel a pu le lire dans le Tchoung Ioung :

La vraie perfection est l’œuvre du Ciel ; la faire briller en soi-même est le travail et le devoir de l’homme. Celui qui est naturellement parfait, atteint le but sans effort, suit la voie droite sans y penser, se tient dans le juste milieu aisément et sans peine ; c’est le sage par excellence.24

Pour l’auteur du Repos du septième jour, le « sage par excellence » est le Christ, qui rétablit sur la croix l’harmonie. L’empereur, qui tient dans sa main le signe de la croix au dernier acte, peut alors proclamer en la désignant : « Voici le très-saint Milieu, le centre d’où s’écartent / également les quatre lignes, voici l’ineffable point. » Comme plus tard dans Un Poète regarde la croix, et conformément à ce que ne cesse de sous-entendre Séraphin Couvreur dans ses commentaires, le Milieu apparaît lié à l’idée de perfection et, implicitement, de « sainteté » – au sens occidental du terme. Le vœu du sage confucéen qui souhaite tendre au « bien suprême » (zhishan) l’oriente ainsi vers Dieu, en toute ignorance, selon Claudel. Nous retrouvons la notion de milieu, ou plus précisément de « centre », dans certains textes exégétiques. « Un regard sur le Livre de Job » présente Satan, tournant inutilement autour du « centre » qui est Dieu, comme « le chien courant après sa queue ». Ce « centre » n’est pas le « milieu » confucéen, même si les rapprochements qu’avait opérés Claudel résonnent encore. Le mot chinois, qui servait à qualifier la voie de l’équilibre permettant de parfaire les vertus humaines, est devenu le but, le centre rayonnant de la divinité.

Après avoir évoqué la perle de la parabole évangélique de saint Matthieu, cette clé de la « Jérusalem mystique », Claudel la rapprochait de ses images incomplètes, « l’étoile polaire » taoïste et le « limpide joyau », cette ûrnâ qui figure au milieu du front ou entre les sourcils de Bouddha. Et il ajoutait en note : « La perle a un orient, c’est-à-dire que l’Orient lui communique cette lumière, cette rose animation d’une chair pénétrée d’esprit. » Une fois encore, la direction de l’Est conduit à l’évocation de la nouvelle Jérusalem, dont chaque porte est une perle selon l’Apocalypse de saint Jean (XXI, 21) auquel renvoie Claudel ; mais la lumière dont il est question étend immédiatement ses rayons vers l’Extrême-Orient, dans l’étoile et le joyau qui sont ses corollaires asiatiques, fussent-ils jugés imparfaits ou égarés.

La figure de Marie apparaît elle aussi en Extrême-Orient, sous les aspects de la déesse « Kwang yin »25 que Claudel cite dans Un Poète regarde la croix. En comparant explicitement l’enfant qu’elle tient parfois dans ses bras dans la statuaire à Dieu et la « colombe » du Saint-Esprit qui doit toucher les régions de l’Asie, Claudel établit un rapprochement explicite avec la Vierge : « […] comme un petit enfant dans les bras de cette femme que ces pauvres obscurcis appellent sous le nom de Kwang yin, afin qu’il étrangle dans son point le Dragon. » Claudel connaît cette divinité depuis son séjour en Chine, il la cite en exemple dans Sous le signe du dragon, « la populaire Kwanyin, déesse de la merci et de la mer, qu’on représente vidant sur la terre l’étroite fiole de sa miséricorde »26 ; et la suite du texte prouve qu’il n’ignore pas son origine indienne : « Avalokiteçvara […] s’est amalgamé en changeant de sexe avec la Kouan yin taoïste », explique-t-il. Ces informations sont exactes ; à l’origine, le Bodhisattva Avalokitesvara est un être de compassion qui intervient en faveur de tous ceux qui sont en difficulté ou en péril, et en particulier les femmes désireuses d’engendrer. Introduit en Chine, le nom sanskrit est traduit Guanyin qui signifie « celui qui perçoit les sons », c’est-à-dire « qui écoute les prières du monde ». À partir du VIIIe siècle, cette divinité prend les traits d’une femme et son culte devient progressivement populaire – et non plus exclusivement bouddhique. Selon Kristofer Schipper, cette déesse représente la miséricorde, elle est « donneuse d’enfant » et personnifie ainsi les vertus féminines par excellence. On comprend bien que ces caractéristiques aient intéressé Paul Claudel, qui évoque cette déesse en faisant allusion à la statuaire et aux représentations de Guanyin qu’il avait pu voir en Chine aussi bien qu’au Japon. On retrouve dans ses brèves descriptions la femme à l’enfant (Songzi Guanyin), la déesse représentée sur la mer (Guohai Guanyin) ou encore tenant ou déversant la « fiole » (la kuñdikâ) qui doit contenir le liquide de sa compassion, eau ou nectar, et apaiser la soif de ses suppliants.

Les allusions claudéliennes laissent ainsi à penser qu’une image de la Vierge transparaît dans les représentations de la déesse chinoise, même si cette image est troublée ou obscurcie. Dans l’iconographie comme dans la statuaire, aussi bien que du point de vue spirituel, la déesse se présente elle aussi comme « donneuse d’enfant », ses caractéristiques rappellent les formulations de la liturgie catholique : consolatrix afflictorum, stella maris… Dans la Première Journée du Soulier de satin, le Chinois confondrait volontiers Guanyin avec la figure de « Notre-Dame de la Pitié », si Don Rodrigue ne le corrigeait pas :

LE CHINOIS. – Rien n’est gratuit que ce précieux élixir caillé au fond de cette fiole mince que liquéfie la bénédiction de Notre-Dame de la Pitié.
Et voyez, les gouttes qui s’en échappent prennent feu dès qu’elles touchent notre air épais.
DON RODRIGUE. – Ce n’est pas Notre-Dame que tu vois, mais cette idole chinoise sur un follicule que tu avais retrouvée et dont tu ne pouvais détacher tes regards.27

Dans les instants qui suivent cet échange, le Chinois et Don Rodrigue aperçoivent deux processions : l’une vient de l’Occident, transportant la statue de saint Jacques ; l’autre est la procession de la Vierge Marie, la « Mère de son Dieu ». Elle apparaît à l’Orient.

Malgré les réticences et les condamnations parfois violentes qu’il profère à l’encontre de l’Asie, et qui touchent principalement le bouddhisme, Paul Claudel met en œuvre un ensemble de rapprochements nuancés qui lui permet d’intégrer certaines notions essentielles des spiritualités asiatiques à ses propres convictions et, dans le même temps, d’imaginer une sorte de preparatio evangelica dédiée à l’Extrême-Orient. Du point de vue littéraire, ces rapprochements – bien que dispersés – s’élaborent sous la forme d’une poétique cohérente. Cette poétique se fonde d’abord sur une géographie symbolique qui peut prendre des dimensions universelles, dans la considération de larges espaces qui correspondent aux influences spirituelles et religieuses, aux rapports entre deux points cardinaux essentiels, l’Orient et l’Occident. Mais la métaphore géographique peut se restreindre à des symboles particuliers que Claudel retrouve dans plusieurs religions ou spiritualités, comme la montagne. Plusieurs motifs poétiques permettent par ailleurs des rapprochements et des compositions à la fois littéraires et religieuses, parmi lesquels la « perle », l’« orient », les notions de « milieu » ou de « centre ».

Avec prudence, Paul Claudel dévoile son rêve en même temps qu’il le construit, comme un « prélude » poétique à la conversion de l’Extrême-Orient qu’il imagine encore dans Emmaüs :

Et qui sait si un jour le Fuji Yama, au seuil de l’Asie ne resplendira pas des feux de la Nativité ! et si le maillet qui là-bas s’abat au cœur du cèdre chinois sur le bronze immémorial ne servira pas de, au lieu de nourriture à l’inutile mélancolie d’un ascète, prélude à quelque apparition consolatrice au milieu d’une solitude ineffable ?28

Et même si Claudel affirme fermement dans le même texte : « Il y a le vrai et il y a le faux, il y a le oui et il y a le non, il y a le bien et le mal, il y a le blanc qui est blanc et il y a le noir qui n’est pas autre chose que tout noir ! », ses propos prouvent qu’il pense pouvoir découvrir une part de vérité dans les spiritualités de l’Asie. Il se souvient des paroles de G. K Chesterton qui affirmait dans Heretics : « The primary fact about Christianity and Paganism is that one come after the other. »29, c’est-à-dire que la nature même du paganisme est d’aboutir au christianisme. Paul Claudel ne redira pas autre chose dans « Un regard sur le Livre de Job », lorsqu’il affirmera que Dieu « s’enrichit triomphalement des dépouilles du paganisme ». C’est que le dialogue avec les spiritualités extrême-orientales, même si elles sont taxées d’erreur ou de mensonge, est toujours fructueux et révélateur de vérité : « ne laisse pas la conversation aller plus loin qu’il ne faut ! », ajoute tout de même Paul Claudel, prudemment.

 

Yvan DANIEL

 

 

 


1. J’emprunte cette expression à Gilbert Gadoffre, in « Claudel et l’Univers chinois », Cahiers Paul Claudel 8, Paris, Gallimard, 1968.
2. OC XXVI, p. 376.
3. Paul Claudel, « Bouddha », publié pour la première fois dans le Mercure de France du 1er juin 1899, puis intégré à « Çà et là », dans Connaissance de l’Est, Œuvre poétique (désormais abrégé Po), Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1967, p. 88, à partir de « – Le temps est mesuré… ».
4. On trouve déjà cette expression sous la plume de Victor Cousin, dans son Histoire générale de la philosophie depuis les temps les plus anciens jusqu’au XIXe siècle, Paris, Didier, [1863] 1873, p. 93.
5. Je n’entrerai pas ici dans le détail de l’analyse claudélienne du bouddhisme que j’ai eu l’occasion de développer ailleurs. Voir Yvan Daniel, Paul Claudel et l’Empire du Milieu, Paris, éd. Les Indes savantes, 2003.
6. Paul Claudel, Emmaüs, Paris, Gallimard, 1949 ; nous citons l’édition des Œuvres complètes, « Commentaires et exégèses », Paris, Gallimard, t. XXIII, 1964 (désormais abrégé OC XXIII).
7. Romain Rolland, La Vie de Ramakrishna, Paris, Stock, 1930 ; La Vie de Vivekananda et l’Évangile universel, Paris, Stock, 1930, 2 tomes.
8. Po, p. 90.
9OC XXIII, p. 87.
10. OC XXIII, p. 78.
11. OC XXIII, p. 83.
12. OC XXIII, p. 86-87.
13. Gilbert Keith Chesterton, L’Homme qu’on appelle le Christ, cité in OC XXIII, p. 86-87, note 2.
14. OC XXIII, p. 85.
15. Claudel note qu’il n’est « pas permis au tentateur de mentir avec autre chose que la vérité. », in OC XXIII, p. 98.
16. Ez. X, 19 ; XI, 1.
17. La montagne, comme lieu et comme symbole, est fréquemment évoquée dans la pensée confucéenne et taoïste. Voir par exemple les Entretiens de Confucius, Lunyu, ch. III.
18. OC XIX, p. 401-402.
19. Édouard Chavannes, Les Mémoires historiques de Se-ma Ts’ien, Paris, E. Leroux, 1895. Mais cette traduction ne concerne que les 50 premiers chapitres. Voir Shiji, Zhonghua Shuju, Beijing, 1959.
20. OC XX.
21. Séraphin Couvreur, Les Quatre Livres, Ho kien Fou, Imprimerie des Missions catholiques, 1895.
22Th I, p. 857.
23. Tchoung Ioung, op. cit., § 20.
24. On trouve à son sujet plusieurs transcriptions sous la plume de Claudel. En pinyin : Guanyin.
25. Sous le signe du dragon, Paris, Gallimard, 1957 [8e éd.], p. 90.
26Th II, p. 700-701 (scène 7).
27. OC XXIII, p. 262-263.
28. G. K. Chesterton, Heretics, London, John Lane, 1905 [rééd. 1928], p. 154.

 

 

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(2) Paul Claudel 18. Claudel poète ? de « La Cantate à trois voix » (1912 à « Poésies diverses » 1952). Textes réunis et présentés par Didier Alexandre, Lettres modernes, Paris-Caen, Minard, 2003.

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