L’Échange a été composé par Claudel en 1894, lors de son premier séjour aux États-Unis, à New York et à Boston, où il exerçait les fonctions de vice-consul.. L’action, resserrée selon une économie classique où sont respectées les trois unités, se déroule sur la côte ouest des États-Unis, où l’auteur résidait. La pièce comporte quatre personnages, illustrant chacun l’un des aspects des sentiments, du caractère et des tentations de Claudel, à l’heure où il faisait l’expérience de l’exil, de l’indépendance et de la contradiction entre les appétits de la nature et les exigences de la religion. Louis Laine, un métis d’origine indienne, est l’incarnation du jeune homme épris de liberté et ne souffrant aucune discipline. Marthe, son épouse, une française, est au contraire l’image de la soumission aux lois de la famille, du mariage et de la religion. Lechy Elbernon, une actrice américaine, émancipée, de caractère et de mœurs libres, est parée de tous les prestiges et les attraits de la femme. Son mari, Thomas Pollock Nageoire, est un homme d’affaires américain, entreprenant et avisé, actif, sérieux, pondéré, représentant le sens et le goût de la vie pratique à laquelle était confronté le jeune consul.
Les quatre personnages sont en scène au premier acte, à l’aube de la journée. Marthe souffre de la nostalgie de son pays natal et manifeste son amour et son dévouement à son mari, qui, lui, insouciant de l’avenir et n’aspirant qu’au plaisir de l’instant, ne tolère aucun lien contraignant. Tandis que Lechy, accompagnée de Thomas Pollock, après s’être livrée à une tirade enflammée sur l’art du théâtre et le métier d’actrice, s’éloigne un moment avec Marthe, Thomas, profitant de l’absence des deux épouses, propose ouvertement à Louis, qu’il juge avec raison incapable de gagner sa vie, de lui céder sa femme en échange d’une poignée de dollars, que Louis n‘a pas la force de refuser.
Louis, au second acte, avoue qu’il a une liaison avec Lechy et laisse entendre à Marthe, consternée et scandalisée par cette proposition, que Thomas serait pour elle un meilleur mari, riche et attentionné, tout disposé à divorcer pour l’épouser. Lechy intervient pour se moquer cruellement d’elle et afficher sa passion en présence de son nouvel amant, qu’elle invite à jouir avec elle de la liberté, tout en le menaçant s’il s’avisait de la quitter.
Au soir de la même journée, Marthe, abandonnée, se lamente en invoquant la justice et le souvenir du pays natal. Lechy, ivre, réitère insolemment ses sarcasmes envers Marthe et ses menaces envers Louis, qu’elle soupçonne de vouloir la tromper. Survient Louis qui, décidé à rompre avec Lechy et à reprendre sa liberté, s’apprête à s’enfuir, malgré les supplications et les avertissements de Marthe, instruite des intentions meurtrières de sa rivale. Cependant Lechy, dans son désespoir et sa folie, a mis le feu à la maison de Thomas, qui perd ainsi toute sa fortune. On apporte sur la scène le cadavre de Louis, tué par un serviteur sur l’ordre de Lechy, alors qu’il tentait de s’enfuir. Marthe et Thomas demeurent seuls, chacun conscient et respectueux des vertus qu’ils représentent. Marthe, fidèle à son devoir, s’apprête à revêtir ses vêtements de veuve, et Thomas, ruiné, las et vieilli, mais sensible aux qualités de Marthe, lui serre silencieusement la main, tandis qu’on emporte le corps de Louis. Ainsi se conclut, dans la préservation des valeurs de sagesse et de sérieux, ce « quatuor » ou, selon l’expression de Claudel, ce « concert » où chacun de personnages est une voix contribuant à l‘harmonie de l’ensemble.
Lorsque Jean-Louis Barrault proposa de représenter la pièce en 1951, Claudel, selon son habitude et comme il l’avait fait pour Partage de Midi en 1948, entreprit d’en rédiger une version nouvelle. Critique envers son œuvre d’autrefois, il remodelait le personnage de Marthe en lui conférant la stature et l’autorité d’une femme forte, et récrivit le dialogue en éliminant les tirades et les expressions les plus lyriques et en accentuant sensiblement la familiarité du langage. Ces modifications, imposées par l’auteur contre le goût et l’avis de Barrault, n’obtinrent pas l’approbation du public et des metteurs en scène successifs, qui préférèrent en général la version primitive.