Texte
Ce drame fut écrit en Chine entre 1895 et 1896. Claudel arriva à Shangaï comme consul suppléant le 14 juillet 1895. Composé dans les premiers mois de ce séjour dans l’Empire du Milieu, Le Repos du septième jour fut achevé le 17 août 1896 (date figurant sur le manuscrit). Fait exceptionnel dans l’œuvre dramatique de Claudel, ce drame ne fut pas repris pour être remanié par son auteur, qui semble l’avoir abandonné sitôt fini : « J’ai fini Le Repos du septième jour que cet ouvrage goûte lui- même au fond d’un tiroir profond » (lettre à Maurice Pottecher du 26 février 1897).
L’action se déroule dans une Chine ancestrale. L’Empereur s’inquiète du mal qui ravage son pays : les morts ont envahi le monde des vivants et ils ne laissent aucun repos à ces derniers. L’Empereur se demande quelle faute a été commise et comment y remédier. Pour répondre à ces interrogations, il recourt aux services d’un nécromant qui fait apparaître le fantôme de l’empereur Hoang- Ti. N’ayant pas obtenu la réponse escomptée, l’Empereur décide de descendre lui- même aux enfers dans l’espoir d’y apprendre comment racheter la faute des hommes. L’acte II a lieu aux enfers dans l’obscurité la plus totale. L’Empereur y rencontre l’ombre de sa mère puis a un long débat avec le Démon sur l’origine du mal. C’est l’Ange de l’Empire qui lui révèle la clé du mystère : le mal finira si l’homme réserve le septième jour à la prière et au repos. Réunie autour du prince héritier, la cour attend anxieusement le retour de l’Empereur : la révolte gronde. L’Empereur revient : il est devenu aveugle et son visage semble dévasté par la lèpre. Son sceptre royal a pris la forme d’une Croix. Son retour et le message qu’il apporte permettent de rétablir la paix et l’unité dans l’empire. L’Empereur cède le pouvoir à son fils et se retire dans la montagne.
Signification
Sous les apparences d’une pièce chinoise, Le Repos du septième jour reprend des questionnements développés dans les autres pièces de L’Arbre : l’oeuvre noue politique, théologie et drame intime.
Le Repos du septième jour se situe au confluent de différentes traditions. La pièce puise dans la culture antique : la scène de nécromancie à l’acte I évoque la nékuia (l’évocation des morts) au chant X de l’Odyssée, la rencontre de l’Empereur avec l’ombre de sa mère rappelle celle d’Ulysse avec sa propre mère, l’apparition du fantôme de Hoang- Ti peut faire penser au début des Euménides (troisième volet de l’Orestie d’Eschyle, dont Claudel publie l’Agamemnon en 1896 dans sa traduction personnelle) qui met en scène le fantôme de Clytemnestre. La descente aux enfers doit sans doute aussi à Dante, à la fois admiré et critiqué par Claudel : malgré les réserves de ce dernier, les critiques ont souligné certaines analogies de l’enfer mis en scène dans le drame claudélien avec l’Enfer du poète italien (reprise des termes d’enceinte et de cercle, division de l’enfer en enceintes, structure avec différents lieux de souffrances…). C’est toutefois de l’univers biblique que la pièce tire son titre, emprunté à l’Ancien Testament (Exode, XXXV, 1-2). Le sujet, par contre, semble inspiré de la tradition et de la civilisation chinoise : Claudel avait été frappé par les liens qui, par delà la tombe, unissent les morts au monde des vivants. Il faut ici citer Connaissance de l’Est : « La mort, en Chine, tient autant de place que la vie. Le défunt, dès qu’il a trépassé, devient une chose importante et suspecte, un protecteur malfaisant, -morose, quelqu’un qui est là et qu’il faut se concilier » (« Tombes- Rumeurs »). Quelques jours après son arrivée à Shangaï, Claudel avait probablement assisté à la fête des morts décrite dans l’un des poèmes de Connaissance de l’Est (« Fête des morts le septième mois »), poème à la tonalité fantastique dans lequel certains critiques ont vu l’une des origines possibles du Repos du septième jour.
Claudel s’inspire non seulement d’une Chine vue et vécue, mais aussi, comme l’a montré Yvan Daniel (Paul Claudel et l’empire du Milieu), d’une Chine livresque, perçue au travers du prisme des pères Jésuites, une Chine antique où l’on tente de déceler les signes avant- coureurs de la Révélation. Certes Claudel s’est montré très discret sur ses lectures. On a toutefois relevé des allusions au Père Joseph de Prémare dont les ouvrages (notamment Notitia linguae sinicae et Vestiges des principaux dogmes chrétiens tirés des anciens livres chinois) ainsi que d’autres (le Cheu King par exemple, recueil d’odes) auraient marqué la pièce sur le plan thématique et stylistique. Ces lectures ajoutées à celle de la Somme de Thomas d’Aquin font de ce drame chinois le support d’une réflexion théologique sur le mystère du mal, la causalité et la Rédemption. Le chef politique, l’Empereur, devient ainsi guide spirituel de son peuple, ce que n’avait pas pu réaliser Tête d’Or. Avec la Croix qu’il porte à l’acte III, ce souverain chinois incarne, non sans paradoxe, une figure d’élu conçue sur le modèle du Christ et marquée des mêmes stigmates de la sainteté que Violaine. Il résout une crise qui n’est pas seulement celle d’une famille mais celle d’un immense empire, où il rétablit l’ordre et l’unité grâce à l’épreuve d’une souffrance que la descente aux enfers assimile d’autant plus à la Passion christique. Au drame politique et théologique se superpose le drame intime et spirituel : on peut voir dans le retrait final de l’Empereur l’expression masquée d’une vocation monastique qui cherchera –en vain- sa confirmation lors du séjour en France quelques années plus tard, en 1900.
Approche dramaturgique
La pièce n’a jamais été remaniée. D’emblée elle affiche une structure claire en trois actes. De facture très classique, l’action se développe en trois étapes clairement marquées. L’acte I est celui de la crise avec le désordre né de l’intrusion des morts dans le monde des vivants. L’acte II montre la descente aux enfers de l’Empereur, l’acte III son retour qui conduit à la résolution de la crise et au rétablissement d’un équilibre grâce au sacrifice et au don de soi. La pièce retrace ainsi les étapes d’une initiation menant le personnage à la vérité que veut délivrer le dramaturge : la nécessité de renouer avec les valeurs spirituelles originelles et de respecter l’ordre mis en place par Dieu lors de la création de l’univers, ce que symbolise le repos hebdomadaire. Le drame calque sa progression sur les phases d’une initiation aux mystères chrétiens : de l’ignorance initiale on passe à la leçon du Démon sur le mal, puis à celle de l’Ange qui révèle à l’Empereur comment surmonter ce dernier. L’initiation à la connaissance se double d’une quête de soi conquise au prix de la souffrance et de l’épreuve. Le passage de l’ignorance à la révélation, du monde des vivants au monde des morts se matérialise par le passage d’un acte à l’autre. La structure dramaturgique prend ici une véritable valeur symbolique.
Ce drame chinois ne recule pas devant les effets, spectaculaires, sonores, voire olfactifs, liés au surnaturel: scène de nécromancie, apparition fracassante de l’Empereur Hoang- Ti, intervention du Démon, puis de l’Ange, masque d’or de l’Empereur qui cache le visage d’un lépreux où seule la bouche subsiste intacte… Il s’agit malgré tout d’un théâtre de la parole qui marie, non sans didactisme, théologie et poésie. On admire l’audace du dramaturge qui imagine un acte entier, l’acte II, entièrement plongé dans l’obscurité. De cette nuit infernale qui abolit tout, corps et décor, émergent des voix, masculines et féminines, qui suffisent à créer l’identité des personnages et à dessiner l’espace théâtral : Le Repos de septième jour réalise ainsi le vœu symboliste d’un théâtre épuré d’une matérialité jugée inutile.
Mises en scène
Le drame fut créé le 15 décembre 1928 au Théâtre National de Varsovie dans une mise en scène de Waclaw Radelesky, puis à Fulda, en allemand, en 1954. En France, la création eut lieu en 1965, au théâtre de l’Oeuvre, à Paris, dans une mise en scène de Pierre Franck, avec Fernand Ledoux dans le rôle de l’Empereur et Maria Casarès dans celui du Démon. La pièce a été reprise plus récemment, en 1993 au Théâtre 14 (mise en scène de Jean Bollery), et en 2003 au théâtre du Nord- Ouest dans le cadre d’une « Intégrale Claudel » (l’acte II y fut joué dans une obscurité totale).
Pascale ALEXANDRE
Bibliographie :
Jacques Houriez, édition critique du Repos du Septième Jour, Annales littéraires de l’Université de Besançon, Les Belles Lettres, 1987.