Partage de Midi, 2006, version de 1949, mise en scène de Vladimir Agueev

Centre dramatique A. Kazantzev / M. Rotchine de Moscou, Russie
Mise en scène : Vladimir Agueev
Décor : Marina Filatova
Traduction en russe : Lioudmila Tcherniakova [Людмила Чернякова] (1987)

Avec :Tatiana Stepantchenko1 (Ysé) ; NesterovAleksei (Amalric) ;ArtemSmola (Mesa) ; Aleksei Bagdassarov (De Ciz)

Coproduction : Centre dramatique A. Kazantzev / M. Rotchine de Moscou, Russie et Théâtre Le Phénix de Valenciennes


1. Née à Prokopievsk en Russie, elle Elle poursuit ses études à l’Académie théâtrale de Moscou (GITIS) dans la classe d’acteurs et de metteurs en scène de Maria Knebel (ancienne élève de Stanislavski et assistante de Mikhaïl Tchekhov). En France, elle a interprété le rôle de Lumir dans Le Pain Dur de Paul Claudel, dans une mise en scène d’Alain Barsacq et Agathe Alexis. En 2006 pour le rôle d’Ysé dans Partage de midi au Centre dramatique A. Kazantsev / M. Rotchine elle est nominée pour le prix « La Mouette ».

Entretien avec Vladimir Agueev

Le Centre dramatique A. Kazantzev / M. Rotchine de Moscou présente Partage de midi de Paul Claudel. Mise en scène Vladimir Agueev.

Vladimir Agueev a suivi la formation de mise en scène à l’Académie théâtrale de Moscou – GITIS – ( cours d’Anatoly Vassiliev, 1993). En 1995 il crée la Compagnie « Epigone théâtre ». Il met alors en scène plusieurs spectacles dont le plus célèbre, Un mois à la campagne d’après Tourgueniev, est invité en 2001 en France au festival de Béthune. Vladimir Agueev travaille au Centre dramatique A. Kazantsev / M. Rotchine depuis sa création. C’est dans ce Centre que Partage de midi de P. Claudel a été créé à l’automne 2006.

Comment avez-vous découvert Partage de midi ?

J’ai lu ce texte dès la parution de sa traduction en russe en 1999. Il m’a instantanément attiré et fasciné. J’ai découvert dans le drame de Claudel toutes les interrogations quant au sens de l’amour dans le dessein de la Providence, questionnement qui était aussi celui des philosophes russes du début du XXème siècle. Et en même temps c’est un auteur si exceptionnel, si énorme que, sincèrement, je ne savais pas comment l’aborder. Ensuite c’est le destin qui s’en mêle. En 2005 lors de la tournée de mon spectacle Les esprits captifs en Belgique, au festival d’Europalia je rencontrai l’actrice russe Tatiana Stepanchenko qui venait de jouer Lumir dans Le Pain dur, dans une mise en scène d’Alain Barsacq. Elle me fit part de son rêve de jouer dans Partage de midi et me proposa même de commencer des répétitions au théâtre « Phénix » de Valenciennes où elle travaillait alors! Ce fut comme un déclic pour moi. Quelque temps après toute la troupe vint en France. Nous avons répété les trois premières semaines à Valenciennes.

Pourquoi avoir choisi parmi les deux traductions russes existantes non pas la première version de la pièce, mais celle de 1949, dite la troisième ?

J’ai trouvé la première version de 1905 trop obscure, peut-être un peu lourde pour un spectateur non averti. En revanche la version de 1949, tout en gardant l’esprit et les thèmes de l’œuvre, les développe d’une manière plus claire, mieux adaptée à la scène moderne. L’approche de Claudel pour le spectateur russe n’est pas évident, il tient une place toute particulière et je ne connais personne dans le théâtre du vingtième siècle à qui je pourrais le comparer. Aucun auteur du théâtre moderne n’a traité d’une manière aussi audacieuse le thème de l’amour passion et celui du salut de l’âme. Donc les acteurs et moi étions tous heureux de travailler sur cette pièce. Quant à Marina Filatova, la scénographe du spectacle, elle avait vu, au début des années 90, Le Soulier de satin dans la mise en scène de V. Kosmatchevsky et depuis gardait la fascination de Claudel, elle aussi. Nous avons conçu un décor très minimaliste pour accompagner les acteurs, une sorte de couverture transformable en bambou et métal, élément poétique en soi ; presque immatérielle et si présente pourtant : conque textile abritant les amants dans la scène du cimetière, tapis au premier acte se transformant en toit d’un temple chinois au troisième acte, objet qui commence sur terre et qui va au ciel. Il y a aussi deux chaises longues en forme d’oméga, mais un oméga vertical qui, à chaque fois, redéfinit l’espace du drame.

Vous demandez à De Ciz de réciter le poème de Baudelaire « Tu mettrais l’univers tout entier dans ta ruelle ». Pourquoi Baudelaire ?

Et pourquoi pas ? Cet aventurier a été aussi l’ami de Rimbaud et connaisseur de poésie. En même tant De Ciz est un homme fait d’une autre étoffe que Mesa, et pour lui la femme n’est rien d’autre que « sublime ignominie ! ». Le ton est tellement différent de l’intonation claudélienne ! Et c’est cet abîme les séparant qui justement permet mieux d’entrer dans l’espace d’une autre dimension, celle du troisième acte. Mais la question reste toute entière – qui est réellement Ysé ? Tous les hommes ne font qu’essayer de déchiffrer le mystère de cette splendide créature, de cette Ysé si proche et si insaisissable. Je pense qu’elle est un mystère pour elle-même et son itinéraire dans la pièce c’est le chemin accomplit depuis le paganisme et un combat intérieur jusqu’à la révélation divine et l’humilité toute chrétienne. Le chemin de Lilith jusqu’à la nouvelle Eve. Et cette nouvelle Eve sera l’instrument que Dieu a choisi pour assurer le salut de l’homme. Je pense que finalement, contrairement aux apparences, tous les personnages de Claudel sont intemporels. On se trouve renvoyé à l’origine du monde, à des textes ancestraux. Dans cette transposition Amalric est une espèce de démon, alors que Mesa apparaît comme le nouvel Adam. Pour moi le Mesa du début est un personnage emblématique de notre époque de crise – c’est un homme moderne complètement renfermé sur lui-même qui, à l’extérieur, donne l’impression que tout va bien mais à l’intérieur est rongé par les angoisses et les doutes, il va tout droit vers l’impasse. Alors il fallait quelque chose pour faire éclater de l’intérieur sa carapace et pour qu’il s’ouvre à Dieu. C’est le rôle d’Ysé. Ainsi dans les flammes de cet amour-souffrance apparaîtront les nouveaux Adam et Eve. Comme aspiration vers la nouvelle naissance de l’humanité toute entière.

On dit souvent, si on veut résumer les drames de Claudel en quelques mots, ce sont l’Homme et la Femme en présence de Dieu. Avez-vous ressenti cette présence invisible ?

Cette présence était pour moi imminente et essentielle. Ce n’est pas une pièce réaliste, malgré l’intrigue proche du drame traditionnel, Claudel ne découvre son sens profond que dans la perspective cosmique, dans la perspective de l’Absolu.

Propos recueillis par Ek. BOGOPOLSKAIA

Oeuvre : Partage de midi