Partage de midi

1 – Le drame

Partage de midi
Partage de midi

mise en scène Alain Ollivier
studio théâtre de Vitry
avec Hélène Lausseur
et Christian Cloarec
photo Claude Lê-Anh

Partage de Midi est un drame en trois actes, qui porte partout les marques du haut style tout en mêlant avec la liberté du grand art plusieurs niveaux de langage. Il est écrit en vers libres, c’est-à-dire, selon Claudel lui-même, des vers qui, « s’ils ne peuvent se scander », présentent une unité respiratoire, musicale, intelligible, émotive (Claudel expose ces idées dans une lettre au premier critique de Partage, Eugène Marsan, que publie François Chapon).

Ce drame met aux prises quatre personnages : Ysé – seule femme – et trois hommes : de Ciz, son mari, Amalric, son amant, et Mesa, sa passion. Son sujet, tel que la citation d’Osée (11, 4), qui en est la clé secrète, le donne à comprendre dans la Préface de 1948, est la souffrance du jeune Mesa qu’une passion amoureuse destructrice reconduit paradoxalement à Dieu, après qu’une fausse vocation monastique l’en avait éloigné.
Le premier acte rassemble sur le pont d’un paquebot les quatre personnages qui se rendent en Chine. C’est midi et le soleil est aveuglant, mortel. Commence un huis clos symbolique. Quelque part au milieu de la mer et de la vie, quatre personnages passent la ligne sans retour. Trois aventuriers et un fonctionnaire aux beaux jours du colonialisme, croirait-on tout d’abord, car la pièce commence par une comédie de mœurs qui sert d’allumage au drame qui va suivre. Ciz s’apprête à exploiter le fonctionnaire qui s’intéresse à sa femme, tandis qu’Amalric, qui regrette de ne pas l’avoir épousée dix ans plus tôt, tente aussi sa chance, mais comprend vite que son heure n’est pas encore venue. Au contraire, Mesa se prend de passion immédiate et dévorante pour la blonde Ysé à qui il confie son désarroi : quand il a voulu se faire moine, Dieu l’a rejeté, et voilà que, le péché venant s’ajouter à l’humiliation, il s’éprend maintenant d’une femme interdite ! Or, comme cette femme véritablement fatale – et elle seule – a la clé de son âme, « le chemin de Dieu se trouve barré par un obstacle irréductible », écrit Claudel dans sa préface tardive. Cet obstacle est le sacrement du mariage. Ysé est une femme mariée.
Le deuxième acte se passe quelques jours après le débarquement à Hongkong, dans un cimetière. Une référence claire à Hamlet, le collage de citations tirées tant de Pierre Loti que des Évangiles, et surtout une parenté troublante avec les amours adultères de David et de Bethsabée rendent l’arrière-plan moins évidemment réaliste que le navire de l’acte précédent. Tandis que Ciz hésite à risquer sa vie dans un voyage où l’attirent des affaires lucratives, mais louches et dangereuses, Mesa et Ysé se déclarent leur passion dans un grand duo opératique. Ils complotent contre Ciz, et parviennent à le décider à partir, espérant s’en débarrasser définitivement (comme le roi David s’arrange à faire mourir à la guerre Urie, le mari de Bethsabée). L’acte se termine sur une citation blasphématoire des Évangiles (Matt. 15, 28) qui achève de camper Mesa en faux ami et en traître, tandis qu’Ysé avait su retrouver, pour condamner son mari, les termes du reniement de saint Pierre (Matt. 26, 72). Dans cet acte, la passion survoltée des amants est donc entièrement soumise à l’attraction du mal et de la mort. C’est le moment où, comme dit l’auteur, « la chair désire contre l’esprit ».
En dépit du bruit et de la fureur d’une insurrection qui menace les Européens du Sud de la Chine, le troisième acte transpose l’action sur le plan des fins dernières. La proposition essentielle du drame se fait jour : « la cause de l’esprit qui désire contre la chair » sera désormais plaidée « dans toute son atrocité » et « jusqu’à épuisement du dossier ». C’est le soir et bientôt la nuit. Retirée chez elle, Ysé attend le retour de son homme, cet Amalric avec qui elle s’est mise en ménage. On entend pleurer dans une autre chambre l’enfant qu’elle a eu de Mesa, un Mesa qu’elle a plaqué au moment où ils se sont résolus à se quitter momentanément pour qu’elle puisse cacher sa grossesse (les relations affichées du consul Claudel et de Mme Vetch avaient scandalisé dans la colonie française de Fou-tcheou). Ysé fait le point sur sa liaison passée – mortifère, mais flamboyante -, tandis qu’Amalric lui annonce qu’ils vont sauter tout à l’heure dans leur maison minée : mieux vaut mourir que de tomber aux mains des insurgés (les Boxers, sans doute). Il sort pour mettre la dernière main aux préparatifs de l’explosion, et c’est alors Mesa qui entre, venu on ne sait d’où pour la sauver, elle et leur fils. Il lui adresse les reproches les plus amers, auxquels elle oppose un mutisme total. La scène qu’on devine en soi interminable est finalement interrompue par le retour d’Amalric. Sommée de choisir entre ses deux amants, c’est lui qu’Ysé décide de suivre. Sa trahison est confirmée. Les deux hommes en viennent aux mains. Amalric a le dessus. Le couple opportuniste abandonne Mesa blessé après l’avoir dépouillé de son laissez-passer et s’être abaissé jusqu’à lui fouiller les poches. Au moment où elle veut l’emporter avec elle, Ysé s’aperçoit que son enfant est mort. Mesa, qui demeure seul dans la maison minée, s’adresse à Dieu en un monologue familier et sublime à la fois. Il s’interroge sur le sens de sa vie, de sa passion, examine sa conduite, confesse son péché, implore enfin de mourir. Ysé réapparaît soudain. Sur un coup de tête, semble-t-il, elle a abandonné Amalric. Comme entre-temps Ciz est mort, ce qui lève l’interdit qui pesait sur l’union des amants catholiques, ils s’épousent à l’article de la mort dans un rituel où la passion profane et profanatrice se mêle indissociablement à la foi la plus ardente et aux sacrements mêmes de l’Église. Le rideau tombe au moment où Mesa achève de dire cette « messe d’août » à laquelle ils fournissent, en mourant réellement, le corps et le sang d’un sacrifice symbolique. Le comble de l’exaltation amoureuse et religieuse est alors atteint en une véritable apothéose de l’amour, et personne ne doute, dans la salle, que de tels amants, qui jubilent de se livrer aux puissances du feu et de la nuit, sont entrés tout vifs dans l’au-delà.

2 – Commentaire

Attaché à suivre l’intrigue, le récit que nous venons de lire montre que l’auteur transforme peu à peu en une aventure mystagogique une action dont les valeurs et les repères sont au premier acte fortement ancrés dans le monde physique, matériel. Mais insensiblement, les personnages, qui se présentent tout d’abord de façon réaliste, se métamorphosent sous nos yeux, puis ils entrent dans un processus de réalisation de leur être profond, que seule la passion permet de mener à son terme. Dans un premier stade, ils semblent styliser leur propre rôle, jusqu’à frôler la caricature sociale et morale, cependant que, toujours plus attirés par l’orientation symbolique que prend leur vie, ils mettent au clair la nature du désir qui les détermine ou s’y soumettent obscurément. Au cours d’une sorte d’initiation aux voies du cœur, la belle Madame de Ciz est instruite par Mesa – personnage en charge du pitoyable « moi » social du jeune poète, mais dont le regard spirituel, animé par un désir d’absolu, absorbe progressivement le principe vital des autres personnages, et les ordonne à la subjectivité de l’auteur. Pour complaire à Mesa, qu’elle appelle alors « son professeur », Ysé accepte tout d’abord de jouer (à contre-emploi !) le rôle de la femme interdite. Puis entrant par la porte du crime dans le mystère de la mort, elle devient (et ne représente plus seulement) l’âme féminine du héros vouée aux souffrances du purgatoire, tandis que lui-même, rendu tout entier esprit, célèbre sa libération des contingences de l’amour, dans une apothéose victorieuse (« le grand Mâle dans la gloire de Dieu, l’homme dans la splendeur de l’août, l’Esprit vainqueur dans la transfiguration de Midi »). On comprend dès lors que la dernière apparition d’Ysé, cette âme-femme dont Mesa doit triompher au moment de la mue ultime, la montre « en état de transe hypnotique », errant dans sa maison abandonnée comme une sorte de fantôme désolé, avant que, son sacrifice accompli, elle se mue en muse jubilante et disparaisse dans la nuit inspiratrice.
Cette dame blanche qui rejoint Mesa non pour tenter de le faire échapper, mais pour se hausser avec lui aux sommets d’une rédemption poétique et mystique, est-ce bien la réelle Ysé – une Ysé qui se serait soudain « convertie » à la religion, comme le pensent certains -, ou est-ce plutôt une Ysé hallucinée que le blessé rivé à son lit de mort (un canapé !) convoque illusoirement ? Il est impossible de trancher, sans doute parce que le final se joue à plusieurs niveaux (« Je pense toujours plusieurs choses à la fois », écrit Claudel à son critique Marsan). Les premiers niveaux sont ceux d’une réalité fictionnelle où l’auteur, malheureux en amour, libère un fantasme compensateur, dont on ne sait s’il faut le créditer à l’imaginaire du drame ou le réserver aux hallucinations du seul héros en qui tous les enjeux de l’action sont sur le point de se résorber. Ensuite, seulement, apparaît le niveau des causes dernières où la passion et la douleur sondées par une conscience désespérée prennent enfin sens : « Pourquoi ? Pourquoi cette femme ? pourquoi la femme tout d’un coup sur ce bateau ? » Que Mesa et Ysé recomposent la figure du couple originel de la Genèse (« Et Dieu créa l’homme à son image, il les créa mâle et femelle »), et toute l’aventure passionnelle tragique de Mesa-Claudel s’insère dans un ordre sacré imaginaire (que fonde solennellement le pseudo-rite eucharistique), dans un ordre cosmique symbolique (la légende chinoise des amants stellaires qui chaque année s’affrontent sans jamais pouvoir se rejoindre de part et d’autre de la voie lactée), enfin dans l’ordre religieux que l’auteur tenait pour véritable (le récit biblique de David et de Bethsabée, amants adultères et criminels qui figurent parmi les ancêtres du Christ, comme le poète catholique ne manque pas de le rappeler).

Si l’on peut parler de Mesa-Claudel, c’est qu’un enjeu autobiographique aigu est en cause. Restant sans nouvelles de Rosalie Vetch, la femme qu’il aime passionnément, avec laquelle il a vécu plusieurs années, mais dont il lui faut se séparer temporairement tout en s’apprêtant à la rejoindre -, puis apprenant qu’elle en aime un autre et qu’il l’a sans doute perdue, Claudel devient fou de douleur. Il se sent alors doublement trahi : ni Dieu n’a voulu de lui, quelques années auparavant, quand il a cru pouvoir entrer dans les ordres et qu’on l’a renvoyé dans le monde (deuxième séjour du diplomate en Chine), ni la femme qu’il aime et dont il se croyait payé en retour n’a su garder sa foi. Incapable d’accepter la ruine de son amour, il cherche alors à rejoindre sa Béatrice, mais elle se dérobe et bientôt, poursuivie, elle prend la fuite. C’est dans ces circonstances dramatiques que le poète commence d’écrire Partage de midi. De cette première version de l’œuvre, il subsiste trois états successifs dont le dernier parvient à trouver une issue au tragique de l’être abandonné, rejeté dans les ténèbres extérieures : silence de Dieu, silence de la femme aimée. Dans la dernière scène, la fin de la passion est déniée, la douleur extrême qui subsiste pourtant est convertie en expiation grandiose, la séparation élargit l’espace aux dimensions du cosmos, l’épreuve de la privation transforme les amants en héros, bref l’auteur surdimensionne sa propre vie à la hauteur du malheur qu’il subit, tant et si bien qu’il la transfigure.
La pièce trouve dans ce geste d’appropriation son enjeu artistique propre. Le poète oriente la forme théâtrale vers une assomption du sujet autobiographique, alors que cette forme se définit au contraire par l’affrontement des volontés et le concert des voix. L’action est dramatique, certes, mais l’écriture tend vers ce dithyrambe dont est issue la tragédie grecque et avec lequel le poète cherchera à renouer, récrivant Tête d’Or au soir de sa vie (tentative vite interrompue). Dans son importance considérable, la voix lyrique (Mesa) fait entendre la douleur suscitant son écho féminin (Ysé). Engagée par un quatuor de forces et de voix bien équilibrées, la pièce entreprend de se confondre toujours davantage avec l’expression d’une conscience isolée qui, se confrontant héroïquement avec la mort, ose interroger et finalement assumer le silence de l’abîme (« Sygè l’Abîme », mots ultimes de Connaissance de l’Est). Toute l’aventure, qui fut celle de quatre ou cinq personnes livrées les unes aux autres au gré d’une rencontre hasardeuse, est progressivement saisie par une écriture qui ordonne à la seule destinée spirituelle du poète ce qui fut soumis alors aux circonstances et aux aléas de la vie (notamment sociale), et parvient à satisfaire supérieurement l’exigence de sens d’un être qui s’affirme ainsi comme réellement unique et, sinon divin, à l’image de Dieu.

3 – Le texte

La première version de Partage de midi (1905) a été éditée à compte d’auteur en 1906 par la Bibliothèque de l’Occident qui en a donné un tirage limité à 150 exemplaires dont la plupart furent adressés sous le sceau du secret à un cercle restreint d’amis de l’auteur. Par discrétion et scrupule, Claudel s’est longtemps interdit de répandre son œuvre en France. Une édition publique de ce texte sera publiée au Mercure de France en 1948 seulement, c’est-à-dire au moment où Claudel donne sa pièce à Barrault. Il s’était alors réconcilié depuis longtemps avec Rosalie Lintner – il lui versait une pension à elle et à leur fille Louise -, il avait écrit Le Soulier de satin inspiré lui aussi (mais de plus loin) de la passion de Fou-tcheou, il l’avait fait jouer. Ayant finalement accepté de monter Partage, y travaillant avec Jean-Louis Barrault, il a ressenti le besoin de donner un portrait moins inéquitable d’Ysé, de débarrasser le texte de son « accoutrement lyrique », et de donner une fin édifiante à l’aventure. Ni le sens, ni l’art des nouvelles versions qu’il écrit alors dans l’urgence de la représentation scénique ne sont plus les mêmes. D’une part, il a voulu que le drame tourne à la parabole. D’autre part, il a fait disparaître de son écriture les marques – ou les stigmates, comme on veut – de l’expressionnisme.

On lira Partage de midi dans l’édition qu’en a donnée Gérald Antoine (folio-théâtre, Gallimard, 1994). Cet ouvrage contient le texte intégral de la première version complète de 1905 ainsi que les états inachevés antérieurs jusqu’alors inédits, une préface biographique, une chronologie, des notes sur le texte, des extraits ayant trait au drame de la correspondance tardive du poète et de sa bien-aimée, une bibliographie, enfin un essai critique. Il s’ouvre sur la préface que le dramaturge écrivit en 1948 pour introduire la publication tardive de l’œuvre. Ce texte bref, mais essentiel permet de comprendre les nouvelles versions à la lumière des intentions qui ont présidé tant aux retouches disséminées un peu partout qu’à la refonte de certains passages des deuxième et troisième actes (ces versions de 1948 et de 1949, la préface de 1948 et une présentation destinée à la presse figurent dans les Œuvres complètes, t. XI, 1957).
La Pléiade a également publié la version de 1905, suivie de la nouvelle version pour la scène de 1949 (Théâtre, t. 1, 1956, Introduction de Jacques Madaule).
Gérald Antoine a présenté en un volume qui tient lieu de complément à son édition parue dans la collection folio, un ouvrage regroupant des commentaires de Claudel et des variantes des différentes versions, classées en fonction des procédés mis en œuvre par la réécriture (Paul Claudel, Partage de midi, un drame revisité : 1948-1949, édition de Gérald Antoine, L’Âge d’Homme, Lausanne (Suisse), 1997).

Si l’on oublie quelques représentations parisiennes furtives et fugitives, on peut dire que le drame fut représenté officiellement pour la première fois en France par Jean-Louis Barrault en 1948 (Première le 16 décembre). Edwige Feuillère tenait le rôle d’Ysé, Jean-Louis Barrault celui de Mesa, Pierre Brasseur jouait Amalric, Jacques Dacqmine était de Ciz. La correspondance Claudel-Barrault contient une série de lettres sur Partage de midi (Cahiers Paul Claudel 10, Gallimard, 1974, lettres 118 à 135, et Œuvres complètes, t. XI).
Sous le titre Mittagswende, le drame avait été représenté en allemand au Städtisches Opern und Schauspielhaus Hannover (première mondiale : 25 mai 1922).

Antoinette Weber-Caflisch
(Université de Genève)

Mises en scène

Ressources

Extrait : PARTAGE DE MIDI, PREMIÈRE VERSION

(…) YSÉ. — Mesa, je suis Ysé, c'est moi.
MESA. — Il est trop tard.
Tout est fini. Pourquoi venez-vous me rechercher ?
YSÉ . — Ne vous ai-je pas trouvé ?
MESA. — Tout est fini! Je ne vous attendais pas.
J'avais si bien arrangé
De me retirer, de me sortir d'entre les hommes, c'était fait !
Pourquoi venez-vous me rechercher ? pourquoi venez-vous me déranger ?
YSÉ. — C'est pour cela que les femmes sont faites.
MESA. — J'ai eu tort, j'ai eu tort
De causer et de… et de m'apprivoiser ainsi avec vous,
Sans méfiance comme avec un aimable enfant dont on aime à voir le beau visage,
Et cet enfant est une femme, et voilà que l'on rit quand elle rit.
— Qu'ai-je à faire avec vous ? qu'avez-vous à faire de moi ? Je vous dis que tout est fini.
C'est vous ! Mais pas plus vous qu'aucune autre !
Qu'est-ce qu'il y a à attendre, qu'est-ce qu'il y a à comprendre chez une femme ?
Qu'est-ce qu'elle vous donne après tout ? et ce qu'elle demande,
Il faudrait se donner à elle tout entier !
Et il n'y a absolument pas moyen, et à quoi est-ce que cela servirait ?
Il n'y a pas moyen de vous donner mon âme, Ysé.
C'est pourquoi je me suis tourné d'un autre côté.
Et maintenant pourquoi est-ce que vous venez me déranger ? pourquoi est-ce que vous venez me rechercher ? Cela est cruel.
Pourquoi est-ce que je vous ai rencontrée ? Et voici que, faisant attention à moi,
Vous tournez vers moi votre aimable visage. Il est trop tard !
Vous savez bien que c'est impossible ! Et je sais que vous ne m'aimez pas.
D'une part, vous êtes mariée, et d'autre part, je sais que vous avez goût
Pour cet autre homme, Amalric.
Mais pourquoi est-ce que je dis cela et qu'est-ce que cela me fait ?
Faites ce qu'il vous plaira. Bientôt nous serons séparés. Ce que j'ai du moins est à moi. Ce que j'ai du moins est à moi.
YSÉ. — Que craignez-vous de moi puisque je suis l'impossible ?
Avez-vous peur de moi ? Je suis l'impossible. Levez les yeux,
Et regardez-moi qui vous regarde avec mon visage pour que vous me regardiez !
MESA. — Je sais que je ne vous plais point.
YSÉ. — Ce n'est point cela, mais je ne vous comprends pas.
Qui vous êtes, ni ce que vous voulez, ni
Ce qu'il faut être, comment il faut que je me fasse avec vous. Vous êtes singulier.
Ne faites point de grimace ! Oui, je crois que vous avez raison, vous n'êtes pas
Un homme qui serait fait pour une femme,
Et en qui elle se sente bien et sûre.
MESA. — Cela est vrai. Il me faut rester seul.

YSÉ. — Il vaut mieux que nous arrivions et que nous ne restions pas ensemble davantage. (…)

Partage de midi (première version). Théâtre I. Gallimard, Pléiade, p. 999

Bibliographie