Ayant lancé le théâtre claudélien, dans la mesure où elle a été la première pièce de Claudel à être jouée en 1912, L’Annonce reste une de ses œuvres les plus populaires et emblématiques.
L’histoire de son texte apparaît particulièrement longue et diversifiée. La pièce a été amorcée dès 1892 sous le titre La Jeune Fille Violaine, drame inspiré par l’enfance orageuse et le pays natal de l’auteur. Une seconde version en est écrite en 1899, sur un registre plus mystique. Puis en 1911, Claudel remanie sa pièce pour lui donner une portée plus générale en l’intitulant L’Annonce faite à Marie, titre qui assimile l’héroïne, Violaine, devenant progressivement une sainte, à la Vierge Marie. Encore cette Annonce se verra-t-elle réécrite « pour la scène » en 1948, à l’occasion de sa mise en scène au Théâtre Hébertot à Paris.
En suivant cette dernière édition, l’action de ce « mystère en 4 actes et un Prologue » qui se déroule dans « un Moyen Âge de convention » est fondée sur la rivalité de deux sœurs, Violaine et Mara. Au Prologue, Violaine, fille aînée d’un riche paysan champenois, Anne Vercors, salue au petit matin le départ de leur hôte, Pierre de Craon, atteint de la lèpre, en lui donnant un baiser que surprend Mara. À l’acte I, dans la matinée du même jour, Anne Vercors annonce à sa femme qu’il part pour Jérusalem, et il veut auparavant fiancer Violaine avec un voisin, Jacques Hury. Mais l’acte II révèle que Mara aime Jacques ; elle va semer le soupçon en lui, d’autant qu’il apprend que Violaine est devenue lépreuse ; après l’avoir accablée de reproches, il la conduit à une léproserie. L’acte III nous situe 7 ans après, pendant la veillée de Noël : Mara arrive, apportant à sa sœur désormais recluse et aveugle la petite fille qu’elle a eue de Jacques et qui est morte soudainement. La douleur sauvage de Mara arrache à Violaine un miracle : la petite revient à la vie. Mais ce miracle a redoublé la haine de Mara contre sa sœur et, au début de l’acte IV, elle veut la tuer en la précipitant dans une sablière. C’est alors que le Père revient, portant dans ses bras Violaine agonisante. Mara se justifie devant tous, et sa sœur pardonne, avant de mourir dans l’apaisement général.
Ce simple aperçu suffit déjà peut-être à révéler les différents niveaux d’intérêt d’une telle pièce, dont Claudel dit : « C’est certainement un des sommets de mon œuvre […] qui a plusieurs versants, presque de tous les côtés de mes différentes possibilités ». Pour s’en tenir aux extrêmes, L’Annonce est ancrée dans un réalisme précis et s’élève très haut dans le surnaturel. Ce drame puisé dans les racines de l’auteur présente d’abord un profond intérêt humain en montrant crûment les diverses facettes de la rivalité amoureuse de deux sœurs et les réactions des deux hommes qui les aiment ainsi que de leurs parents. Mais simultanément, le surnaturel transcende l’histoire. Déjà, au départ, la lèpre apparaît mystérieusement liée à des instants d’égarements sensuels qui deviendront une malédiction. Mais c’est surtout le miracle, accompli devant le public, qui donne une dimension résolument religieuse à ce « drame de la possession d’une âme par le surnaturel », selon la définition de Claudel. Non seulement il fait de Violaine une sainte qui ressuscite un enfant, mais Mara est également touchée par le surnaturel car, grâce à sa « foi enragée, elle croit que Dieu peut lui faire du bien », et le destin des deux sœurs se trouve inextricablement lié. Aussi l’auteur pouvait-il résumer la pièce qui l’a occupé pendant plus de 50 ans comme « la représentation de toutes les passions humaines rattachées au plan catholique ».
L’écriture de L’Annonce n’est pas moins remarquable. C’est un texte éminemment littéraire, où le théâtre rejoint la poésie, tant par la variété des images que par la constante musicalité du vers que Claudel voyait comme un « opéra de paroles ». Mais cette haute tenue n’exclut pas, bien au contraire, une grande force scénique. Aboutissement d’une dramaturgie typiquement symboliste, L’Annonce a été créée par Lugné-Poe en 1912 au Théâtre de l’Œuvre, et a séduit ensuite, par son étonnante plasticité, les plus grands metteurs en scène du XXe siècle – entre autres Baty (1921) et Jouvet (1943), sans compter Copeau et Dullin qui n’ont pu réaliser leurs projets – , et Claudel lui-même s’est souvent engagé dans des mises en scène de sa chère pièce. Jouée dans le monde entier, tant par des professionnels que par des amateurs, L’Annonce n’en finit pas de lancer ses multiples appels au public ; elle a même été transposée en opéra (par Renzo Rossellini en 1970) et au cinéma (par Alain Cuny en 1991).
Bibliographie :
Théâtre II, Paris, Gallimard, Pléiade, 1965.
Éd. de Michel Autrand, Gallimard, Folio théâtre, 1993. Bibliographie.
Alain Beretta, Claudel et la mise en scène. Autour de L’Annonce faite à Marie, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2000.
Mises en scène
-
L’Annonce faite à Marie à Olomouc en République Tchèque (2013)
-
L’Annonce faite à Marie en Suède (2018)
-
L’Annonce faite à Marie en Lituanie (2018)
-
L’Annonce faite à Marie, 2019, livret et mise en scène de Jean-François Gardeil
-
L’Annonce faite à Marie, 2014, mise en scène d’Yves Beaunesne
-
L’Annonce faite à Marie, 1959, version de 1911, mise en scène de Pierre Franck
-
L’Annonce faite à Marie, 1990, version de 1911, mise en scène de Philippe Adrien
-
L’Annonce faite à Marie, 2001, version de 1911, mise en scène de Matthew Jocelyn
-
L’Annonce faite à Marie, 1996 et 2002, version de 1948, mise en scène de Frédéric Fisbach
-
L’Annonce faite à Marie, 2008, mise en scène de Christophe Perton
-
Verkündigung [L’Annonciation], 2012, mise en scène de Urs Häberli
-
L’Annonce faite à Marie, 2012, mise en scène de Lembit Peterson
-
L’Annonce faire à Marie, mises en scène historiques
-
L’Annonce faite à Marie, 2005, version de 1911, mise en scène de Christian Schiaretti
-
L’Annonce faite à Marie, 2008, mise en scène de Lembit Peterson
Ressources
JACQUES HURY. — Pourquoi donc cet air d'inquiétude et d'effroi ? (…)